Depuis quelques mois l’ambiance et les impératifs autour de solvabilité 2 ont sensiblement changé dans les compagnies d’assurance. Fini le mode projet, finis les calculs affinés sans cesse du pilier 1 ou les réflexions savantes sur le pilier 2 et le rapport Orsa, place à l’industrialisation du processus et ses impératifs. Car solvabilité 2, ses œuvres et ses pompes c’est dans un an.
Les entreprises ont découvert que le poids des éléments quantitatifs à livrer n’est pas léger : cinq clôtures par an, trimestrielles et annuelles vont désormais rythmer la vie des entreprises d’assurance qui n’y étaient pas forcément toutes habituées. On peut évidemment parier que le mode « simplifié » des calculs dominera la livraison des chiffres trimestriels chez de nombreux assureurs, au détriment du mode « élaboré » réservé au clôtures annuelles. Simplifié ou élaboré, il n’en reste pas moins que les délais de livraison sont une contrainte importante.
Je me rappelle d’une vie antérieure où la soumission à ces clôtures trimestrielles avait créé chez les comptables une habitude de compter en « clôtures » à l’image des militaires comptant leur années de campagne. Untel avait « fait » 20 clôtures, tel autre 30…
Le passage du mode projet au mode « business as usual » est loin d’être évident et nombreuses sont ses conséquences et les éléments qu’il révèle.
- D’abord, et c’est le plus important, il révèle l’extraordinaire complexité qui règne dans les données d’exploitation des assureurs et dans leur comptabilité. Peu mentionnent les trésors de conscience et de travail que recèlent les équipes comptables. Car si la comptabilité est un art celle des assureurs est sans doute la plus élaborée au sein de cet art. Rendre compte du fameux « cycle inversé » de production est un sujet complexe[1].
- Il met aussi en évidence le sujet sensible de la qualité des donné Souvent issues de systèmes différents à l’intérieur de la même société, il n’est pas simple d’en garantir l’homogénéité et la convergence. Si la directive rend clairement le titulaire de la fonction actuarielle responsable de la qualité des données, la mise en place pratique de cette responsabilité est loin d’être faite. Les nombreuses étapes qu’elle suppose : Plan de gouvernance des données, identification des propriétaires de chaque donnée, qualification de chaque donnée, etc. n’en sont souvent qu’à leur balbutiement
- Il montre aussi que les processus actuels ne sont plus compatibles avec une production accélérée de résultats et de chiffres. L’heure a sonné de l’industrialisation des opé Et sur la route vers cette industrialisation se dresse, entre autre, un obstacle de poids : le tableur. Des articles récents commencent à évoquer ce problème. Le tableur est largement utilisé dans les entreprises pour les calculs intermédiaires injectés par la suite dans les processus comptables. Or le tableur n’est pas adapté à un monde de production industrialisée des chiffres et pour de nombreuses raisons. il ne garantit par exemple pas la traçabilité des opérations, point essentiel dans la production automatique des chiffres. Les entreprises suppléent à cette faiblesse en édictant des règles impératives en ce qui concerne la protection, la circulation des feuilles et leur archivage. Mais ces règles restent difficiles à appliquer de manière stricte.
L’heure de l’industrialisation de solvabilité 2 a sonné. Cette industrialisation aura, à mon avis, autrement plus d’impact que l’élaboration des principes de la directive dont nous sortons. Elle va contraindre à des changements majeurs pour obéir à des calendriers serrés. Car ce n’est pas au pied du mur qu’on voit le maçon, mais en haut…
[1] Je ne fais pas ici allusion aux querelles byzantines auxquelles se livrent actuellement les moines de l’IFRS.