Journalistes et concurrence sont les moyens de la protection des assurés

Le code des assurances stipule que « le contrat précise les conditions d’affectation des bénéfices techniques et financiers » (affectation aux assurés). Cet article est complété par un arrêté stipulant que cette affectation doit attribuer au minimum 85% des résultats financiers à l’assuré.

Quand j’étais jeune assureur, il y a bien longtemps, et que je demandais les raisons de cette obligation minimale, la réponse reposait sur deux idées.

La première était que cette règle minimale protégeait l’assuré. Celui-ci ne pouvait, en conséquence, être la victime d’un assureur indélicat qui aurait versé l’ensemble des résultats financiers à l’actionnaire.

D’autre part la limite choisie permettait aussi une rémunération correcte de l’actionnaire.

Il semble bien que ces deux raisons, sans doute justifiées à l’époque, aient fait leur temps et qu’on pourrait désormais penser à supprimer cette règle…

Pour ce qui concerne la protection de l’assuré contre la tentation de l’assureur de s’approprier l’intégralité des produits financiers, elle a été largement garantie non pas tant par le code et ses articles mais par deux importants outils de protection du consommateur en matière de prix : la concurrence et la presse professionnelle.

Toujours négligée (voire méprisée) par nos gouvernants, la concurrence garantit le meilleur aux consommateurs. C’est bien ce qu’elle a fait au cours des dernières années en assurance. Si l’assurance vie est devenue le « placement favori des français » c’est sans doute grâce à un marché ouvert et concurrentiel qui a imposé des taux de rémunération tout à fait favorables.

Au point que le gouverneur de la banque de France, la secrétaire générale adjointe de la commission de controle et le Trésor ne s’inquiètent pas tant d’une possible sous attribution des produits financiers que d’une trop forte…

 » Mettre en question la sécurité du marché, en prenant des décisions imprudentes de revalorisation au détriment des réserves, diminuerait la capacité de résilience de certains acteurs en cas de crise », a prévenu Christian Noyer le 4 novembre 2014.

Quant à S Lemery, secrétaire générale adjointe de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), elle déclarait devant les sénateurs : « Il est impératif que les assureurs ajustent la revalorisation des contrats d’assurance vie pour préserver leur solvabilité», a indiqué Sandrine Lemery,.

Enfin Thomas Groh sous directeur des assurances à la direction du Tresor ne disait-il pas à ces mêmes sénateurs : « les assureurs doivent maîtriser l’évolution de la rémunération des fonds en euros, afin d’inciter les souscripteurs à choisir d’autres supports.»

Trois déclarations qui sont loin de peindre un monde d’assurés lésés au profit de l’actionnaire…

Ce que la réglementation cherche à obtenir, une juste rémunération de l’assuré, est désormais le fruit de la concurrence. C’est aussi la conséquence du travail de la presse professionnelle.

Car on peut saluer ici les journalistes dont les efforts pédagogiques pour expliquer toujours mieux les contrats, établir des classements ont joué un rôle important dans l’amélioration du sort des assurés. On peut citer à ce titre et sans que la liste soit exhaustive les Bengel, Goué, de Baudus, Weinberg, Pié, Lavaud, Carlat, Sollier, Vial, Naimi etc.

On peut ainsi dire que les journalistes et la concurrence ont fait autant pour l’assuré que la réglementation.

Et l’actionnaire, quelles sont pour lui les conséquences passées et futures de la règle des 85% ? Ce sujet mérite à lui seul un prochain article…

Des contrats en euros trop bon marché, frein à la croissance de l’assurance vie ?

Le début de l’année c’est l’heure des bilans et des chiffres. Après les espoirs, les craintes, les attentes chacun peut mesurer le chemin parcouru pendant l’année.

Et cette année le bilan présenté (conference FFSA du 29 janvier 2015) par l’industrie de l’assurance vie est flatteur :

Une collecte nette positive de € 21 milliard.

Une collecte positive chaque mois de l’année. Décembre 2013 est la dernière période négative de collecte pour les assureurs vie français.

En un mot l’assurance vie aurait retrouvé les chemins de la croissance après des années troublées entre 2009 et 2013.

On ne peut que se réjouir de ce « renversement de tendance », mais suffit-il à dire que le printemps est désormais là ? Pas vraiment si on analyse l’évolution des provisions mathématiques des assureurs vie.

Les provisions mathématiques des assureurs vie sont passées de € 1.433 milliard à 1.515 milliard entre le 31/12/2014 et le 31/12/2015.

Cette croissance de près de € 82 milliard est due pour € 21 milliard à la collecte nette. Ainsi ce sont près de € 61 milliard d’accroissement des provisions mathématiques qui relèvent des rendements du stock, soit 75% de l’accroissement total.

Les assureurs vie français ont donc vu croître leurs actifs plus du fait de l’évolution de la valeur du stock accumulé que du fait de la nouvelle richesse confiée par les clients. Et dans une proportion significative.

On objectera que rien n’est plus évident : l’assurance vie est une industrie arrivée à maturité, dont les belles années sont passées et dont le stock pèse de plus en plus lourd. On objectera aussi que dans une période de taux d’intérêt faible il est de l’intérêt de l’assureur de ne pas ou de peu souscrire des nouveaux contrats en euros. C’est le verre d’eau à moitié plein.

Oui mais c’est bien là que le bât blesse : s’il est sain de souscrire peu de produits en euros en période de taux faible, la part de la collecte nette dans l’augmentation des provisions montre que les assureurs n’ont toujours pas réussi à remplacer le contrat euro par une offre vraiment attractive.

Dans les faits, ce que l’on vend aujourd’hui est ce que l’on vendait il y a 20 ans déjà. Les nouveaux contrats eurocroissance (dont nous avons déjà dit tout le mal que nous en pensions dans notre blog du 18 octobre 2013) ne sont pas encore là pour prendre la relève (s’ils la prennent jamais).

Il reste donc à comprendre pourquoi les contrats en unités de compte, qui semblent pourtant le produit idéal dans les circonstances actuelles, ne se vendent pas mieux.

On ne peut plus trouver les causes dans les caractéristiques des produits qui sont très attractives tant en terme d’offre que de flexibilité.

Peut être la cause réside-t-elle dans le prix du contrat euro ? De manière tout à fait étonnante, ce produit qui offre plus de garanties que le contrat en unités de compte (capital minimum au terme, effet cliquet, mutualisation) coûte beaucoup moins cher aux assurés que les contrats en unités de compte. Le prix relatif des deux produits prêche donc en faveur du premier[1]. On peut dire que la garantie consentie aux clients est quasi gratuite, et encore plus alors que nous approchons de zones de taux négatifs sur les marchés obligataires. En comparaison l’assuré paye assez cher un contrat en unités de compte dépourvu de garanties. Et comme le marché a toujours raison cette différence de prix est certainement perçue par les clients.

Si l’on croit à ce raisonnement la reprise significative de la croissance de l’assurance vie passera sans doute par un renversement des prix relatifs, soit par augmentation des chargements sur le contrat euro, soit par diminution sur les contrats en unités de compte. Les assureurs ne pourront pas faire l’économie de ces décisions.

[1] On peut aussi renverser le raisonnement et évoquer un prix trop élevé du contrat en UC. Peu importe, c’est le prix relatif qui importe dans ce raisonnement.