Consultation du Trésor sur l’euro croissance : qui doit financer les développements de nouveaux contrats ?

 

L’eurocroissance est décidément mal nommé[1]. Mal conçu, nos l’avions dit en son temps[2], il est très loin de constituer le « relais de croissance » espéré par les assureurs.

Ses performances commerciales restent maigrelettes, ce qui ne manque pas d’inquiéter les assureurs et les pouvoirs publics. On aurait pu croire que cet échec eût poussé assureurs et État à changer le produit ou sa fiscalité.

Ces partenaires ont préféré croire que le faible niveau des taux était le responsable principal de la situation en interdisant de constituer une poche « risquée » suffisante pour afficher des potentialités de rendement attractifs. Nous ne reviendrons pas ici sur le côté à notre avis insuffisant de cette analyse.

En application de cette vision, il fallait donc trouver des lignes obligataires à taux élevé qui pourraient être affectées aux nouveaux contrats augmentant par la même occasion le montant de la poche « risquée ».

Et ces lignes sont directement, pour certains assureurs, sous leur nez, il suffit de se baisser pour les ramasser, et plus précisément il suffit d’aller les puiser dans les actifs des contrats en euros.

Cette idée a trouvé une oreille compatissante auprès du Trésor qui a engagé une consultation à ce sujet.

La méthode retenue consiste simplement à transférer une part des plus values des porteurs de contrats en euros. Ceux mêmes qui ont contribué par leur épargne à la constitution des plus values engrangées à une époque où les obligations avaient des taux élevés. Si la proposition prospère, les assurés verront ces plus values attribuées aux porteurs de contrats euros croissance. Nous ne discuterons pas ici des moyens envisagés et de la technique qui les sous tend. Nous en resterons au niveau des principes.

Les fonds versés par les assurés sur les contrats euros ont dans l’esprit, si ce n’est dans la lettre, pour objet de garantir les contrats en euros, pas de financer les développements de contrats « cantonnés ». S’il y a une logique à ce que l’actif général finance des produits dont les revenus reviendront dans l’actif général, on voit mal pourquoi l’actif général servirait à financer des produits dont les revenus ne reviendront pas au financeur. Et le contrat euro croissance fait bien l’objet d’un cantonnement. La méthode considérée par le Trésor consiste donc à faire financer par l’actif général (l’assuré « euro ») un produit dont les revenus seront distribués entre porteurs de contrats euro croissance et actionnaires.

Or c’est à l’actionnaire ou aux fonds propres de supporter les nouveaux produits « cantonnés », pas aux porteurs d’un autre contrat qui n’en profiteront pas à terme[3]. Que dirait-on du financement des provisions collectives décès par le transfert direct de tout ou partie des actifs à fort rendement du contrat euros[4] ? Si les actionnaires croient au nouveau produit, pourquoi ne demandent ils pas une méthode où ils pourraient racheter en franchise d’impôts les lignes en forte plus value aux assurés des contrats euros pour les attribuer aux contrats euro croissance[5] ?

Loin de n’être qu’une discussion sur une modalité technique de transfert des plus values, la consultation du Trésor pose la question des rôles des assurés et des actionnaires dans le fonctionnement d’une compagnie d’assurance et la réponse qu’elle suggère est pour le moins étonnante.

[1] les esprits mal intentionnés verront dans l’assemblage des mots croissance et euro une mauvaise blague.

[2] voir notre chronique « pourquoi l’eurocroissance ne marchera pas » du 18/10/13 sur notre blog Agefi

[3] le financement par un autre contrat passe par la voie des résultats dégagés et attribués aux fonds propres.

[4] on notera que nombreuses sont les branches en assurances qui souffrent des taux obligataires faibles et qui se porteraient mieux avec des actifs plus rémunérés.

[5] à ceux qui objectent que c’est impossible comptablement on répliquera que le Trésor peut arranger ça comme il entend le faire pour les plus values des contrats euros.

Assurance vie sans garantie n’est que ruine de l’âme de l’assureur.

La persistance des taux d’intérêt bas ne manque pas d’inquiéter les assureurs vie et les régulateurs un peu partout dans le monde. Récemment l’Association Actuarielle Européenne a constitué un groupe de travail afin d’explorer les conséquence de ce mouvement.

Il était temps car on observe un peu partout que les assureurs en ont tiré l’idée qu’il faut éliminer toutes les garanties.

Ils le font en limitant ces garanties au maintien du capital lorsqu’il s’agit de contrat en euros et en proposant aux assurés de plus en plus de contrats en unité de compte.

Le client se trouve ainsi de plus en plus seul face au risque des marchés financiers qu’on lui demande d’assumer.

Pourtant, comme vient de le rappeler opportunément le président de l’institut des actuaires allemands, W Schneemeier[1], la garantie des taux fait partie des outils nécessaires à la fourniture de ce service essentiel de l’assureur qu’est la préparation de la retraite. Sans taux garanti comment permettre le maintien des valeurs sur plusieurs décennies ? Comment permettre à l’assuré d’avoir une retraite suffisante dans 40 ou 50 ans ?

Depuis de nombreuses années les assureurs-vie semblent avoir oublié leur rôle très particulier dans l’univers financier. L’enseignement classique de l’assurance-vie est passé de mode et la définition de l’assureur-vie, non pas gestionnaire au jour le jour de placements financiers mais gestionnaire du cycle de vie des clients n’évoque plus grand chose. Pour beaucoup d’assureurs, souvent issus du monde bancaire, l’assurance est un succédané de compte bancaire, dans lequel l’assuré place son argent en échange d’une liquidité parfaite et d’une rémunération aléatoire, comme dans le cas d’un contrat en unités de compte.

Seules quelques parties marginales de l’assurance-vie sont fidèles à l’idée que l’assureur est un gestionnaire du cycle de vie et que les paiements ne doivent pas être le fruit de la volonté du client. Les contrats collectifs retraite, les fonds de pension restent inspirés par cette idée, en un mot que la liquidité du contrat est réduite. L’âge de la retraite ou quelques événements limitativement décrits permettent de récupérer les sommes.

On sent bien que les restrictions portées à la liquidité permettent de garantir, vocation première de l’assureur. Mais on sait aussi que la seule restriction de la liquidité ne suffit pas à permettre la garantie. Ainsi dans les contrats à prestation définies, des garanties trop fortes et trop longues n’ont pas compensé les avantages de placement liés à la restriction de la liquidité.

M. Schneemeier propose de limiter les durées de garantie pour éviter ces problèmes.

Les assureurs disposent donc de deux outils pour continuer à fournir des garanties : la restriction apportée à la liquidité des contrats et la limitation de la durée des garanties.

Or ils semblent aujourd’hui faire le choix délibéré de la liquidité au détriment de la garantie. En refusant de toucher à la liquidité des contrats ils sont obligés de renoncer à la garantie. C’est bien le mouvement amorcé avec les unités de compte… Ce mouvement met toujours plus en risque la profession en la rapprochant très dangereusement de la banque, accroissant mécaniquement la concurrence à laquelle elle est soumise.

Ce primat donné à la liquidité n’est qu’une des options stratégiques possibles et sans doute la moins conforme aux savoirs de long terme de l’assureur-vie. C’est pourquoi on peut s’étonner que ce dernier ne cherche pas dans la réduction de la liquidité et de la durée des garanties une solution plus conforme à ses intérêts.

Renoncer à la garantie est un pari plus dangereux qu’il ne paraît pour les assureurs vie. Assurance-vie sans garantie n’est que ruine de l’âme.

[1] Versicherung Wirtschaft 14/09/15 Ohne Garantien würde die Lebensversicherung keine wirklichen Altersvorsorgelösungen mehr biete