Gérer le temps en assurance, le défi des Insurance Linked Securities et des marchés financiers. 

La semaine dernière une affaire complexe de garanties entre le gestionnaire d’ILS, Securis, et le syndicat 4242 du Lloyds a agité la vénérable institution. Les montants en jeu sont faibles heureusement mais ils sonnent une alarme qu’il serait bon d’écouter.

Securis est un fournisseur de Insurance Linked Securities, outil financier couvrant les dommages consécutifs à une catastrophe. Son client, un syndicat des Lloyds (le syndicat 4242) bénéficiait d’une garantie collateralisée.

En avril dernier sur la base d’une appréciation de l’impact dIrma sur ses comptes, le syndicat a décidé de libérer la garantie à hauteur de $21 million.

En septembre cette première évaluation de l’impact dIrma s’est avérée trop faible de $13 million.Mais Securis prétend que la libération des garanties l’a délié ainsi que ses investisseurs de leur obligation de réassurance. Fidèle à ce flegme britannique associé aux plus grands désastres,Securis se contente d’expliquer qu’il pense qu’on trouvera une solution à ce problème.

Le cas d’espèce reste limité en impact (« seuls » $13 million manquent à l’appel) et heureusement. Mais il pose quelques questions sur l’implication des marchés financiers dans la couverture des catastrophes.

La première est la complexité des contrats qui les régissent, le manque de standardisation des clauses, l’absence d’experience ou de jurisprudence qui rendent incertains la mise en application, comme on le voit dans cet exemple. 

La seconde est la vitesse de la transmission des pertes de l’assuré à l’assureur puis au réassureur. Dans le monde réel cette transmission est lente, très lente. Les fondateurs du Lloyds ont voulu que les comptes d’une année ne soient clos que trois ans après, ce qui permettait d’avoir connaissance de la bonne arrivée au port des bateaux assurés. Au 17 et 18 ème siècle, savoir qu’un bateau de Malacca à Londres avait disparu n’était pas chose instantanée. La clôture avec 3 ans de retard évitait de délier les fournisseurs de capitaux (les names) avant de connaître l’étendue des sinistres.

On objectera que les vitesses de transmission de l’information se sont accélérées, c’est vrai, mais elles restent toujours tributaire des délais administratifs. Le temps qui va du sinistre à sa déclaration, à son enregistrement, à son évaluation, à son acceptation, à son provisionnement, à son paiement, à son enregistrement en comptabilité de réassurance, à sa transmission au réassureur, voire au retrocessionnaire reste long. Certains rêvent que le blockchain y mettra bon ordre, mais on y est pas. Dans le cas du syndicat 4242, avoir imaginé que 6 mois après la catastrophe la connaissance des sinistres était suffisante témoigne, dans le meilleur des cas,d’une méconnaissance des mécanismes d’administration de l’assurance.

La grande ligne de partage entre l’assurance et les marchés financiers sera toujours le rapport au temps. La patience est le propre de l’assureur en face d’un financier dont l’horizon est parfois limité à 3 mois, une période qui ne signifie rien pour l’assureur. Promettre qu’on pourra sortir de ses engagements d’assurance à court terme est une illusion qu’il serait dangereux d’entretenir. Préférons donc le modèle des fondateurs du Lloyds qui attendaient des nouvelles de leurs navires en buvant la boisson à la mode de l’époque, le café, chez M. Lloyds.

Est il intéressant de combiner assurances et réassurance dans le même groupe ?

L’offre de rachat de SCOR par Covea a fait du bruit ces dernières semaines dans le Landernau des (re)assureurs.

Je veux essayer d’apporter mes modestes lumières non pas au détail de la transaction, que je ne connais pas, mais aux grandes idées agitées à ce propos.

La première question est celle de la possession d’un réassureur par un assureur, de son intérêt et ses limites pour l’assureur. On dira d’abord que le schéma n’est pas neuf, qu’il existe depuis que la réassurance est la réassurance et les exemples foisonnent. La possession d’un réassureur par un assureur offre de nombreux avantages « organiques » à ce dernier : accès à des marchés étrangers sans licence « directe », centralisation dans un véhicule interne de la politique de réassurance, réassurance intra groupe. Ces techniques et ces structures ont rythmé la vie des grands assureurs et il a eu, ou il y a, un Axa Re, Generali Re, Allianz Re, UAP Re, AGF Re, Le Mans Re, Reinsurance General American, Lincoln Re aux périmètres d’action plus ou moins étendus. Sans même posséder de réassureurs, CNP et AXA continue à être des membres actifs du monde de la réassurance des mutuelles et des IP françaises. La mode des années 2000 a été à la disparition ou la vente de ces véhicules, poussée par des années difficiles et, faut il le dire, par le recul de la culture d’assurance dans certains états majors. Il semble que l’insurtech, le development des agents souscripteurs, en bousculant les limites assurances réassurance remettent cette combinaison au goût du jour.

La deuxième question est celle de l’intérêt pour le réassureur. Les performances des années récentes ont fait oublier que la réassurance est plus volatile que l’assurance. Sa performance souvent supérieure à celle de l’assureur se construit à plus long terme et avec plus de volatilité. J’ai souvent expliqué dans ces colonnes que l’abondance monétaire issue de la politique des banques centrales a permis aux réassureurs de disposer, surtout par la rétrocession, de capitaux peu coûteux et abondants. Le quantitative easing est mère de tous les vices économiques. Au rang de ceux-ci on compte un modèle économique fondé pour certains réassureurs sur une cession de leurs engagements à bas prix à des acteurs, les retrocessionaires (en quelque sorte les réassureurs des réassureurs) ou à des véhicules de titrisation d’assurance (ILS). Certains prétendent même que ce modèle ressemble plus à celui du courtage qu’à celui de la réassurance. Le jour où ce modèle finira (je pense qu’il finira avec la fin du QE), la volatilité de la réassurance sera plus forte, c’est à ce moment qu’apparaitra l’intérêt de combiner risque de fréquence (assurance) et risque de sévérité (réassurance) au niveau de groupes. Par ailleurs, et comme évoqué au paragraphe précédent, l’insurtech, les nouvelles technologies, la croissance des agents souscripteurs poussent les réassureurs à chercher des licences directes pour opérer, à devenir plus assureurs, ce dont j’ai déjà parlé ici même (voir : ce qui pousse les réassureurs à devenir assureurs. https://assureurope.net/2017/05/21/quest-ce-qui-pousse-les-reassureurs-a-devenir-assureurs/)

La troisième question a trait aux effets négatifs de l’actionnariat assurance pour un réassureur, le risque que les clients ne « veuillent pas ouvrir les livres à leurs concurrents… ». La présence de Ergo au sein du groupe Munich Re ou de Talanx chez Hannover, sans parler des participations croisées Allianz/Munich Re du passé ne semblent pas avoir été un frein à la croissance de ceux-ci y compris en Allemagne. Les deux fondateurs de Munich Re, Carl Thieme et Wilhelm Finck qui, de 1880 à 1890, défendaient l’idée de l’indépendance vis à vis de tout assureur, changent d’avis en 1890 et créent Allianz, sans dommage pour la réassurance. Swiss Re ne croissait pas moins à l’époque où elle possédait Elvia et Warren Buffet combine dans Berkshire Hathaway, Berkshire Hathaway specialty, National Indemnity pour le risque industriel Gen Re pour la réassurance et Geico pour l’assurance des particuliers. Par son acquisition de XL, Axa se retrouve à nouveau dans le monde de la réassurance par XL Re interposé.

On notera enfin qu’il y a des assureurs à la table du Conseil de nombreux réassureurs mêmes « indépendants » sans que cela pose problème et quant à croire que c’est dans les Conseils qu’on échange sur le détail des affaires, comment dire… En un mot le modèle « groupe assurances réassurance » ne semble pas inquiéter les clients.

La quatrième question évoquée à été celle de la possession d’une société privée par un mutualiste. Un article récent (ne laissons pas une mutuelle s’emparer de la Scor https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/0302250844447-ne-laissons-pas-une-mutuelle-semparer-de-la-scor-2205645.php) a suggéré une impossibilité fondamentale. Il me fait penser au « Saltatorem appelat Lucium Murenam Cato » du pro Murena, où Ciceron s’en prend à Caton qui traite Munera de danseur, avec toutes les connotations négatives qui s’y attachent et qui le rendraient inapte aux magistratures… Ici c’est la mutualité qui, parce qu’elle n’est pas cotée, serait économiquement irresponsable… Je pense pour ma part que les mutualistes ne sont pas du tout hors de toute logique économique et illégitimes à posséder une société cotée comme le suggère l’article. Qu’il suffise de verser au débat du « mutualiste actionnaire de réassureur » que les mutualistes français ont sauvé par deux fois la Scor en 1982 et en 2002/2003. Sans eux, on peut même imaginer que rien n’eût pu rétablir l’entreprise.

En un mot, la cohabitation dans un même groupe d’un réassureur et d’un assureur n’est pas sans logique économique et le modèle est en fait assez courant. Un groupe composite peut ainsi associer sur-rendements associés à la volatilité avec plus forte stabilité liée à l’assurance, risques de fréquence avec risques de sévérité, extension internationale avec enracinement fort dans certains pays. Ce n’est pas l’unique modèle possible, mais il ne mérite sans doute pas toutes les critiques dont on l’a accablé récemment…