Pourquoi les (ré)assureurs veulent-ils rendre du capital à leurs actionnaires ?

coins-1726618_640Après Munich Re , c’est maintenant Swiss Re qui annonce sa volonté de rendre du cash aux actionnaires faute d’opportunités d’investissement. Et ce phénomène ne concerne pas que les réassureurs, les assureurs aussi, à l’image récente de Allianz , parlent de racheter des actions faute de savoir comment utiliser ce capital excédentaire.

Doit on en conclure que le marché de l’assurance est totalement saturé? Qu’il n’y a plus rien à vendre aux clients ? Que ceux ci sont si bien couverts que désormais rien ne peut leur arriver pour lequel ils ne soient protégés ?

Ceux là même qui remboursent leurs actionnaires n’en semblent pas convaincus et Swiss Re continue à étudier année après année le « protection gap » qui montre que la distance est grande entre les besoins et la couverture en matière d’assurance de personnes . En matière d’assurance de dommages, chaque catastrophe montre le faible rôle joué par les assureurs dans la facture finale .

Si les marchés sont loin d’être saturés, pourquoi ce défaitisme, cette apparente résignation, cette absence de volonté de croître ? Les causes en sont sans doute multiples et attardons nous sur quelques unes seulement sans prétendre à l’exhaustivité.

D’abord et sans doute il y a le recul du métier d’assureur. Ceux qui ont officié dans cette industrie depuis de nombreuses années ont pu constater le remplacement de la logique des assureurs par celle des « financiers », avec un goût marqué pour la performance de court terme.

Or rares sont les marchés d’assurance qui peuvent se satisfaire du court terme. Comment offrir des produits dont l’objet est la couverture de risques à long terme (santé, retraite, dependance) avec l’œil rivé sur les résultats trimestriels ? Aucune chance évidemment d’y parvenir. Un tel strabisme condamne donc à n’opérer que dans un champs très limité (assurance short tail). Et encore dans ce domaine, le court termisme conduit à réaliser en permanence des entrées sorties qui finissent par rendre les clients infidèles au risque que la situation ne devienne ingérable. Avec la progression du court-termisme dans les entreprises d’assurance, il est probable que seules les mutuelles auront bientôt encore la capacité d’assurer (si elles ne succombent pas aux sirènes des « financiers »).

La deuxième cause, et on ne le répètera jamais assez, c’est la folle politique des banquiers centraux et leur injection massive de liquidité. Celle ci a faussé la mesure du risque et des rendements. Cela ne serait rien si la logique financière qui a remplacé celle de l’assurance n’avaient retenu, comme dans la banque, des primes de risques irréalistes pour évaluer les investissement. Certains parlent ainsi encore de rentabilité de 10% au dessus de l’actif sans risque, illustrant leur incompréhension de l’univers des risques et de leur mesure. Ce faisant ils ont condamné des pans entiers de leur activité qui ne peuvent évidemment, ni à court ni à long terme, offrir bien plus que 2 à 3 % au dessus de l’actif sans risque.

Du fait de ces analyses, les assureurs ont renoncé à couvrir des marchés gigantesques. Ils sont entrés dans l’époque de la mort lente, mort qui en assurance se nomme run-off et qui est d’autant plus agréable qu’elle est adoucie par les profits que tout run-off génère.
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1 https://www.munichre.com/en/media-relations/publications/press-releases/2017/2017-03-15-press-release/index.html
2 http://www.swissre.com/media/news_releases/nr_20170316_agm.html
3 https://www.allianz.com/en/investor_relations/announcements/ir_announcements/170216a.html/
4 http://media.swissre.com/documents/Mortality%20protection%20Gap_%20Asia%20Pacific%20-%20FINAL.pdf
5 http://www.swissre.com/media/news_releases/The_USD_13_trillion_disaster_protection_gap.html
6 En effet ces remboursements d’action ont lieu sur fonds de résultats tout à fait acceptables.

Uber va t il renforcer l’intermédiation en assurances ?

Uber en France en juin, c’était un psycho-drame comme les français les adorent (de moins en moins ?). Voitures brûlées, violences, mise en examen des dirigeants.

Mais le plus gros problème d’Uber ne réside pas à mon avis dans les attaques des chauffeurs de taxis et des gouvernants. Le pb central d’Uber c’est… L’assurance.

Les premiers problèmes en la matière sont apparus en Californie. Le refus des assureurs de consentir des garanties qui ne concernent pas les utilisations commerciales d’une voiture assurée à titre privé ont mis en évidence les limites du système Uber. C’est ainsi qu’est apparue la nécessité de couvrir les véhicules dans une société qui ne peut vivre sans assurance.

Après de longs débats, le Parlement de Californie a imposé une couverture d’assurance. Ainsi depuis cette année, Les conducteurs Uber californiens doivent être couverts dès qu’ils répondent à une demande de coursev. Lors de la prise en charge du client, la couverture est portée à $1mn.

Et l’histoire n’est pas différente avec les autres « uberisations » : dans le cas de Airbnb, le site français évoque l’assurance et conseille fortement à chaque propriétaire de vérifier avec son agent d’assurance les garanties responsabilités civiles et accidents à domicile.

Loin d’être un frein à l’assurance, « l’uberisation » semble être un déterminant de l’innovation dans ce domaine et une source de nouveaux revenus.

En rendant multiforme l’utilisation du bien l’uberisation rend plus complexe son assurance et cette complexité va certainement favoriser le rôle des intermédiaires.

Si la couverture d’une voiture de particulier utilisée de manière simple a atteint une maturité permettant une couverture standardisée, elle a aussi diminué le rôle de l’agent et favorisé des distributions directes. Il n’en sera sans doute pas de même avec cet éclatement de l’usage des biens.

 L’uberisation change les concepts mêmes d’utilisation des propriétés des individus (voitures, appartements…) Ces nouvelles utilisations réclament de nouvelles définitions, de nouvelles couvertures, de nouvelles assurances. Elles rendent aussi conscients des couvertures déjà présentes dans les contrats. Elles redonnent au detail des garanties une importance qu’elles avaient perdues.

 Il en va donc de l’uberisation comme de tous les grands progrès : ils déterminent la fin de certaines professions mais ils créent aussi des opportunités nouvelles. Ici ils favorisent les métiers qui gèrent la complexité créée par de nouvelles règles. Les agents et courtiers font partie de ces métiers à mon avis.

 Est ce à dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes des assureurs ? Non sans doute pas. A un moment où les assureurs doutent de leur avenir, où l’on parle de disparition de l’assurance auto sous les coups de butoir de la voiture assistée puis autonome, où les taux d’intérêts bas remettent en cause le modèle de l’assurance vie traditionnelle, ces éléments viennent toutefois nous rappeler que la technique de l’assurance est absolument nécessaire au développement et à l’activité des sociétés modernes.

 Mais ils illustrent aussi un curieux paradoxe. Les nouvelles technologies de l’information, vu comme beaucoup comme la mort du vendeur pourraient ne pas avoir des conséquences si simples en assurance. Si l’on peut facilement parier sur le transfert de certaines opérations de gestion vers le client, la complexité croissante des besoins induits par l’uberisation pourrait renforcer le rôle des réseaux traditionnels en assurance.

Une autre perspective sur le big data : les assureurs ont statistiquement raison, ils ont socialement tort

Je ne parlerai pas ici du Big Data comme on a l’habitude de le faire en ce moment. Je ne le ferai pas dans la mesure où les articles sur le sujet sont nombreux. J’aborderai plutôt le sujet à la lumière de la décision récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur la discrimination en matière de « genre ».

Le coup de tonnerre de la décision de la CJUE

La décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 1er mars 2012 à propos de la « gender directive » a été vue par de nombreux assureurs comme une décision dangereuse pour l’avenir de la profession, l’association Belge des assureurs (pays d’origine de la question préjudicielle) y a vu « La recherche aveugle d’une égalité absolue », le CEA y voit « une mauvaise nouvelle pour les assurés », l’assureur RSA une « décision contraire au bon sens ». Ces réactions sont peut être légitimes, nous avons largement débattu de cette décision dans un article précédent[1], je n’y reviendrai pas.

Je voudrais plutôt voir dans cette décision la transcription en termes légaux d’un sentiment peut être répandu dans le public, dont la Cour se serait contentée de faire l’interprète et qui nous amènera sans doute à parler des données, de l’augmentation de leur volume disponible et de l’utilisation que nous pourrions en faire.

Les assureurs ont statistiquement raison

Les assureurs ont pour fonction d’organiser des mutualisations entre les risques. Ils avaient choisi depuis de nombreuses années de le faire sur la base de variables sociodémographiques, simples et facilement identifiables au rang desquelles, entre autres et pour l’assurance automobile, le sexe, mais aussi le lieu d’habitation ou l’ancienneté du permis[2].

Le choix de tarifer par sexe offre de nombreux avantages : simplicité de recueil de l’information, existence de corrélation entre risque et variable choisie. Mais il ne faut jamais oublier que ces critères ne sont que des indicateurs de l’exposition de l’assureur aux risques. Il ne s’agit pas de facteurs de causalité : on n’a pas moins d’accident parce qu’on est une femme. Le critère « femme » rend compte d’un comportement moyen en matière de conduite qui conduit à moins d’accident que les hommes. Aucun assureur ou constructeur automobile ne garantira que toute femme soit meilleur conductrice qu’un homme choisit au hasard. De la même manière tout jeune n’est pas, du seul fait de son âge, un plus mauvais conducteur qu’un sénior.

Le problème n’est pas si différent dans les assurances de personnes. Si l’âge reste un facteur qui rend évidemment bien compte de l’évolution moyenne de la sinistralité, il n’en est pas un prédicteur unique et absolu : une femme fumeuse invétérée sera plus à risque qu’un homme non fumeur du même âge, un jeune à « obésité morbide »[3] aura une sinistralité élevé.

Les assureurs ont politiquement tort

L’opinion attachée à la décision de la Cour de Justice[4] ne dit pas autre chose quand elle mentionne à l’attendu 61 que les assureurs font « tout au plus… une supposition générale » que la différence dans les modes de conduite automobile ou l’utilisation des services médicaux est liée au sexe ; ou encore à l’attendu 62 où l’avocat général mentionne de nombreux autres critères qui influencent la sinistralité (la profession, l’alimentation, la consommation de stimulants, la pratique du sport, les loisirs).

Le sexe, s’il est un indicateur efficace de la sinistralité, n’en reste pas moins un indicateur, et c’est bien là que le bât blesse. L’avocat général parle à l’attendu 61, d’une « différence (de sinistralité) qui n’apparaît que sur le plan statistique » sans que les assureurs prouvent que « leur inclination (des femmes ou des hommes) inégale à prendre des risques dans le trafic ou à recourir à des prestations médicales trouveraient leur origine dans leur sexe de manière déterminante. »

Dans leur défense du droit à utiliser des variables générales, les assureurs ne cessent d’invoquer des concepts complexes, peu accessibles au grand public. Dans un document publié en novembre 2012, le CRO Forum[5] oppose la « discrimination », de connotation négative, à la « différentiation ». Les arguments utilisés sont solides mais ils ne semblent pas réaliser qu’un des postulats « the underwriting process results in risks being allocated to an appropriate, pre-determined pool of standard risks » est peut être source des problèmes actuels. L’ensemble du document du CRO repose sur la nécessité technique de créer des groupes « standards », il fait peu de cas de l’acceptabilité par les consommateurs de ces groupes et de l’affectation de chaque individu à ces groupes.

Or ce regroupement par classe peut être ressenti comme non légitime par les intéressés et en contradiction avec les comportements qu’ils observent[6]. Dans ce cas, cette classification devient socialement inacceptable. Cette idée transparait dans l’attendu 63 qui note que les changements dans les rôles sociaux traditionnels entre les sexes ne permet plus de lier mécaniquement sexe et comportement : « aussi bien les femmes que les hommes exercent de nos jours des activités professionnelles de haut niveau qui sont parfois extrêmement stressantes[7] … Le type de sport pratiqué et l’intensité de cette pratique ne peuvent plus, eux non plus, être d’emblée rattachés à l’appartenance à l’un ou à l’autre sexe ». L’individualisation des attentes des clients et de leurs besoins, leur plus grande difficulté à s’insérer dans des cadres « institutionnels », ne font que renforcer ce refus de rattachement.

Ce que les assureurs avaient sans doute oublié dans les « belles années » de la tarification sélection « libre » c’est que la classification des individus repose sur une acceptation de cette classification.

Comment, par quelle magie crée t on cette acceptation ? C’est une question sans vraie réponse. ? Mais aujourd’hui les raisons de refuser les classifications « traditionnelles » sont nombreuses :

le doute concernant les « institutions »

Le refus des grandes fidélités institutionnelles et traditionnelles grandit. Les réseaux sociaux ont substitué aux groupes « verticaux » des groupes « horizontaux ». Même si on peut discuter la réalité des solidarités « horizontales » leur solidité (veut on faire beaucoup plus sur Facebook que mettre ses photos de vacances ?), il n’empêche que les catégorisations « institutionnelles » ont été « entamées » par l’émergence des nouvelles technologies. Et les assureurs ne seront pas les derniers à subir le refus des groupes « verticaux » qu’ils ont organisés. Pourquoi dois je me sentir solidaire du mauvais conducteur ? du fumeur invétéré ? du buveur ? du mauvais propriétaire ? On mesure mieux aujourd’hui la nécessité d’un appareil idéologique puissant pour faire accepter ce genre de solidarité.

l’individualisation des offres marketing

L’homme de marketing ne cesse de poursuivre son rêve de toujours : une segmentation pour laquelle « chaque client est un segment ». il est servi dans de nombreux domaines par la flexibilité accrue des outils de production et la publicité ne cesse de lui dire qu’il est unique et qu’il va donc avoir un produit unique. C’est un discours qu’il comprend et qui correspond au refus d’être mis dans une case à laquelle il n’adhère pas.

le refus des exclusions

La fin de l’acceptation des solidarités traditionnelles s’accompagne paradoxalement d’un refus de l’exclusion. Si l’assuré n’accepte plus aussi aisément de voir son sort lié à celui d’un individu moyen dans lequel il ne se reconnait pas, il refuse de la même façon l’exclusion de tout un chacun.

La grande perdante de cette bataille, c’est la moyenne. On l’a souvent dit dans ces colonnes, la philosophie de la variance a remplacé la philosophie de la moyenne[8]. Voire plus, la moyenne est devenue une chose quasi inacceptable.

Mais cette philosophie de la moyenne était fille de la pauvreté des données. Sans donnée, il faut faire avec des concepts simples, il faut favoriser la moyenne. L’utilisation de la variance, la prise en compte des variations autour de la moyenne supposent d’avoir à disposition des données nombreuses et précises.

Ainsi, à l’instant même où les assureurs voient leurs méthodes traditionnelles de classification mises en cause, la nature, les marchés, l’évolution leur offrent la possibilité de re construire leur modèle d’une manière plus adaptée à la donnes actuelle.

Le Big Data au secours des assureurs

Ainsi le client d’assurance ne ressent-il plus comme légitime d’être intégré dans un groupe dont il ne pense pas partager les comportements[9]. L’affaiblissement du lien affinitaire, qui permettait d’accepter une prime déterminée par de grandes catégories socio économiques, laisse la place à une volonté de tarification plus liée à « mon » comportement personnel.

il faut donc pour les assureurs abandonner progressivement les variables socio économiques pour recourir aux variables de comportement. Car la tarification au comportement échappe naturellement aux critiques précédentes. Je ne suis pas sur tarifé parce que je suis un homme, je le suis parce que je conduis la nuit. Il est difficile de refuser une telle classification.

La solution pour les assureurs c’est la tarification à base comportementale : primes liés aux nombres de kilomètres parcourus, tarif « fumeurs /non fumeurs », tarif liés à un mode de vie[10]. C’est bien ici qu’intervient le « Big Data ». Il met à disposition des assureurs une grande quantité de variables à même de prendre la place des variables socio économiques utilisées pendant tant d’années.

Ces variables sont devenus abondantes grâce aux évolutions de la technologie, qui rendent le suivi du kilométrage ou des habitudes de vie plus simples et permettent un recueil sans biais. Ainsi, le comportement, aujourd’hui souvent pris en compte dans les critères de sélection du risque, pourrait être progressivement « remonté » dans la tarification.

Grace au Big Data (ou à cause de lui ?), l’assureur a à disposition les moyens de soritr d’un monde où sa relation avec l’assuré se caractérise par le sentiment « affinitaire » institutionnel, et le calcul basé sur des variables socio économiques. Il peut créer un monde fondé sur une relation plus individualisée avec des calculs liés directement aux comportements.

Toutefois ce passage ne sera possible qu’à la condition que les clients acceptent que les données individuelles les concernant soient à disposition des assureurs. Pour l’obtenir les assureurs doivent dès aujourd’hui investir en pédagogie, rendre plus lisibles les mécanismes de leur industrie et inventer d’autres mécanismes de tarification et de transparence.

[1] article de R Durand dans la revue Risques :  »

[2] On notera toutefois avec intérêt que le critère de comportement le plus important en assurance automobile (la sinistralité) a été imposé aux assureurs par la loi : il s’agit du coefficient de réduction majoration… qui a été largement distordu ces dernières années par ces mêmes assureurs.

[3] Avec un indice de masse corporelle supérieur à 40.

[4] Case C 236/09

[5] « the right to underwrite » novembre 2012

[6] Sentiment renforcé par la « loi des petits nombres » mentionnée par Tversky et Kahneman (1972)

[7] en français dans le texte…

[8] Dans un autre domaine de l’assurance, l’évaluation de la solvabilité on assiste au meme phénomène qui crée lui aussi des incompréhensions profondes.

[9] On pourrait dire sous forme de boutade : Pourquoi payer une prime d’assurance supérieure alors quand on pense mieux conduire que sa femme ?

[10] voir les produits de Discovery en Afrique du Sud.

Industrialiser solvabilité 2 va changer les entreprises d’assurance.

Depuis quelques mois l’ambiance et les impératifs autour de solvabilité 2 ont sensiblement changé dans les compagnies d’assurance. Fini le mode projet, finis les calculs affinés sans cesse du pilier 1 ou les réflexions savantes sur le pilier 2 et le rapport Orsa, place à l’industrialisation du processus et ses impératifs. Car solvabilité 2, ses œuvres et ses pompes c’est dans un an.

Les entreprises ont découvert que le poids des éléments quantitatifs à livrer n’est pas léger : cinq clôtures par an, trimestrielles et annuelles vont désormais rythmer la vie des entreprises d’assurance qui n’y étaient pas forcément toutes habituées. On peut évidemment parier que le mode « simplifié » des calculs dominera la livraison des chiffres trimestriels chez de nombreux assureurs, au détriment du mode « élaboré » réservé au clôtures annuelles. Simplifié ou élaboré, il n’en reste pas moins que les délais de livraison sont une contrainte importante.

Je me rappelle d’une vie antérieure où la soumission à ces clôtures trimestrielles avait créé chez les comptables une habitude de compter en « clôtures » à l’image des militaires comptant leur années de campagne. Untel avait « fait » 20 clôtures, tel autre 30…

Le passage du mode projet au mode « business as usual » est loin d’être évident et nombreuses sont ses conséquences et les éléments qu’il révèle.

  • D’abord, et c’est le plus important, il révèle l’extraordinaire complexité qui règne dans les données d’exploitation des assureurs et dans leur comptabilité. Peu mentionnent les trésors de conscience et de travail que recèlent les équipes comptables. Car si la comptabilité est un art celle des assureurs est sans doute la plus élaborée au sein de cet art. Rendre compte du fameux « cycle inversé » de production est un sujet complexe[1].
  • Il met aussi en évidence le sujet sensible de la qualité des donné Souvent issues de systèmes différents à l’intérieur de la même société, il n’est pas simple d’en garantir l’homogénéité et la convergence. Si la directive rend clairement le titulaire de la fonction actuarielle responsable de la qualité des données, la mise en place pratique de cette responsabilité est loin d’être faite. Les nombreuses étapes qu’elle suppose : Plan de gouvernance des données, identification des propriétaires de chaque donnée, qualification de chaque donnée, etc. n’en sont souvent qu’à leur balbutiement
  • Il montre aussi que les processus actuels ne sont plus compatibles avec une production accélérée de résultats et de chiffres. L’heure a sonné de l’industrialisation des opé Et sur la route vers cette industrialisation se dresse, entre autre, un obstacle de poids : le tableur. Des articles récents commencent à évoquer ce problème. Le tableur est largement utilisé dans les entreprises pour les calculs intermédiaires injectés par la suite dans les processus comptables. Or le tableur n’est pas adapté à un monde de production industrialisée des chiffres et pour de nombreuses raisons. il ne garantit par exemple pas la traçabilité des opérations, point essentiel dans la production automatique des chiffres. Les entreprises suppléent à cette faiblesse en édictant des règles impératives en ce qui concerne la protection, la circulation des feuilles et leur archivage. Mais ces règles restent difficiles à appliquer de manière stricte.

L’heure de l’industrialisation de solvabilité 2 a sonné. Cette industrialisation aura, à mon avis, autrement plus d’impact que l’élaboration des principes de la directive dont nous sortons. Elle va contraindre à des changements majeurs pour obéir à des calendriers serrés. Car ce n’est pas au pied du mur qu’on voit le maçon, mais en haut…

[1] Je ne fais pas ici allusion aux querelles byzantines auxquelles se livrent actuellement les moines de l’IFRS.

En combinant innovation et discipline de souscription les réassureurs ne choisissent ils pas la plus risquée des stratégies ?

Nous avions écrit l’an dernier à la même date (Monte Carlo oblige)[1]comment les ILS étaient en train de changer la donne de la réassurance. Au cycle traditionnel des catastrophes se substituait un cycle formé d’une combinaison de catastrophes et de taux financiers.

Un an après la machine fait son œuvre : sans catastrophe majeure (même si des catastrophes mineures et nombreuses ont eu lieu depuis le début de l’année) et faute d’une contraction monétaire (la planche à billet tourne à plein régime), les réassureurs voient leurs marges fondre et le principal d’entre eux, lâche, du haut de ses 30 ans d’expérience : « I am disappointed, exasperated, and even rather appalled by what is happening in the market »[2]

Alors que l’an dernier les sceptiques ne voyaient dans l’ILS qu’un feu de paille, fondé sur la cupidité des investisseurs achetant des produits qu’ils ne connaissaient pas (refrain connu en finance depuis quelques années …), l’ambiance a radicalement changé. Comme on ne peut pas souhaiter publiquement la « bonne » catastrophe qui impacterait de manière significative les « catbonds », on accepte de vivre avec les conséquences de cette nouvelle structure de marché.

La machine à prédiction est donc passée à l’étape suivante : il ne s’agit plus désormais de savoir comment maintenir les marges ou attendre des jours meilleurs, mais plutôt de jouer sa survie. Dans une étude de la semaine PWC s’inquiète tout particulièrement pour les acteurs moyens, trop petits pour être gros, trop gros pour être petits. L’étude prédit une nouvelle vague de consolidation. Le fonds du message contenu dans l’étude peut être résumé de manière simple : « innovate or die ».

Deux leitmotivs ont donc ponctué ce Monte Carlo, deux mots qu’on a un peu de mal à mettre ensemble : innovation et… discipline. Dans le discours des plus gros réassureurs, on trouve les deux en permanence. Innovation, nouveautés, voire audace doivent ouvrir de nouveaux marchés et permettre d’échapper a l’inéluctable diminution des domaines « traditionnels ». Quelques phrases ou discours plus loin il est par contre question de « discipline de souscription ». Et les propos changent alors du tout au tout : il ne saurait être question de céder aux sirènes des prix bas, il est des niveaux en deçà desquels on ira pas, nous sommes prêts à refuser des affaires, il faut préserver des marges minimales car cette fois ci il ne reste plus rien, voilà ce que l’on peut entendre au milieu du cliquetis des verres de champagne…

On peut toutefois se demander comment ces deux cultures pourront réellement cohabiter. La discipline n’est pas la qualité la plus spontanément associée à l’innovation… La cohabitation des deux conduit à la plus risquée des stratégies pour les réassureurs : Sont ils vraiment prêts à réduire leurs parts sur des risques certes peu ou mal margés, mais connus, pour accepter des risques nouveaux et par définition difficiles à apprécier ? A une époque de sur réglementation, il n’est même pas sûr que ces stratégies soient supportables. Ainsi le premier pas du « innovate or die » consistera sans doute à choisir entre « innovate or di(scplin)e ».

[1] Quand le quantitative easing s’invite à Monte Carlo 17/09/2013 Agefi blog

[2] Nikolaus Von Bomhardt CEO Munich Re 13 septembre 2014.

L’eurocroissance, plus importante réforme de l’assurance vie depuis…

La grande offensive des assureurs pour la promotion du contrat euro croissance a commencé, ou a t elle, comme diraient les anglais ?

Au milieu du concert de louanges, tellement unanime qu’on pourrait le croire orchestré, la dernière déclaration du patron des patrons d’assurance étonne un peu.

Lors des rencontres parlementaires de l’epargne, Bernard Spitz a en effet déclaré que l’euro croissance serait la « plus importante réforme de l’assurance vie depuis des années ». Pour les plus anciens dans ce secteur, pas de quoi émouvoir qui que ce soit, toutes les réformes petites ou grandes de l’assurance vie ont été décrites à leur tour comme « la plus importante réforme », la « mère des réformes ».

Ce qui est plus étonnant, ce sont les références choisies par le président de la FFSA pour illustrer son propos, rapportées par l’Argus des assurances du 29 janvier : l’eurocroissance est « la plus importante réforme depuis le lancement des PERP, il y a 10 ans, des contrats DSK, il y a 15 ans, et même de l’apparition des unités de compte, il y a 30 ans » : l’eurocroissance serait aussi important pour l’assurance que le Perp le produit DSK ou le contrat en unités de compte ? de quoi laisser Perp…lexe plus d’un assureur.

D’abord parce cette déclaration mélange des inventions fiscalo-étatiques (Perp, DSK) avec une invention du marché libre (le contrat en unité de compte).

Ensuite parce que le produit le plus proche de l’état actuel des projets sur l’eurocroissance, l’eurodiversifié, n’est pas porté au rang des « grandes réformes de l’assurance vie des dernières années ».

Enfin et surtout parce que le Perp ou le DSK, comme l’eurodiversifié, ça ne nourrit pas son assureur.

Les chiffes sont là pour le dire. Le DSK, fièrement baptisé du nom du ministre Strauss Kahn, est l’histoire d’un échec. Malgré un « relifting » sous le nom de NSK (comprenez « nouveau DSK ») Les provisions mathématiques accumulées sur ce contrat sont de 6,8 milliard d’euros et elles décroissent régulièrement (elles se montaient à 7,9 milliard en 2008).

Quant au Perp, les chiffres sont tout aussi faibles, puisque les provisions sont de 8,8 milliard d’euros à fin 2012.

Que ces deux produits aient le mérite d’avoir été imaginés par des gouvernements de droite ou de gauche suffit sans doute pour en faire des références incontournables. Citer plutôt le produit Afer, matrice du contrat à versement libre qui constitue l’essentiel du marché aujourd’hui, porté par un homme, presque malgré les gouvernements de l’époque (G Athias), n’aurait pas eu le même impact : les grandes réformes du marché doivent être le fait de l’Etat…

A moins que ces références ne soient un message subliminal adressé au gouvernement. Le Président de la FFSA ne cache pas non plus ses doutes lorsqu’il déclare à la même tribune, sur ce même sujet :  » le diable est dans les détails ». Très bon communicant, il cherche peut être à dire avec subtilité au gouvernement, grâce à ses références, que le contrat eurocroissance court le risque de n’être qu’un contrat limité, une révolution dans les termes, un échec dans la pratique.

Le comparer à trois produits qui sont loin d’avoir le succès du contrat en euro (succès qui ne se dément pas) c’est avertir le gouvernement que la partie n’est pas gagnée et qu’il ne devra pas ménager sa peine s’il veut que les assureurs le vendent et que les assurés l’achètent.

Il faut plutôt en faire un nouveau contrat Madelin, exemple de succès fondé sur des principes évidents : fort avantage fiscal, simplicité de l’instruction fiscale initiale, adaptation aux demandes d’une cible clairement identifiée. Ce contrat a désormais 27,7 milliard de provisions au titre de la retraite des indépendants, soit trois fois plus que le Perp et quatre fois plus que le DSK, tout en s’adressant à une population bien plus limitée.

Puisqu’on nous promet que le gouvernement est engagé dans un grand tournant « libéral », il pourra le prouver en appliquant pour l’eurocroissance ce précepte : « enrichissez vous ! par l’épargne, et dans un cadre simple ».

Pourquoi l’eurocroissance ne marchera pas.

L’industrie de l’assurance vie est dans l’attente des mesures promises par le gouvernement. L’accouchement en paraît laborieux ce qui, pour les uns, est signe que le gouvernement hésite à remettre en cause le régime fiscal du « placement favori des français » ; pour les autres cela n’augure rien de bon, sinon que la « malfaisante fécondité qui préside à l’administration des finances publiques », pour reprendre les mots de Tocqueville, est à nouveau à l’oeuvre.

Parmi les mesures tant attendues ou redoutées figure la mise en place du produit « eurocroissance ». Là encore rien n’est fait et, par les temps qui courent, il ne faut pas trop croire ce que disent les uns et les autres sur le format final du produit.

Ce que nous en voyons pour le moment semble en faire un succédané du produit eurodiversifié dont le succès fut en son temps … à peu près nul.

L’idée du produit est intelligente… pour les assureurs. Elle consiste seulement à reporter la garantie des sommes investies à l’échéance en supprimant toute garantie en cours de contrat. Après avoir placé dans un véhicule non risqué les sommes à même de garantir à terme 100% des sommes investies, l’assureur devient libre de rechercher un rendement maximum sur la partie restante grâce à des placements plus risqués. On comprend que l’idée séduise les assureurs et particulièrement les structures financières dans les compagnies. En un mot c’est « beau comme l’antique » et cela permet de satisfaire la vision cartésienne du monde sans laquelle la France ne serait pas la France.

Mais quel est l’avantage pour les clients et pourquoi diable devraient ils se jeter dans cette aventure ?

L’avantage quasi unique, c’est le sur rendement par rapport aux contrats euros. Mais le sur rendement se prouve et au démarrage, faute d’historique, il faudra se contenter de promesses. Non que les promesses ne puissent séduire, mais leur force est loin de celle des performances continues des contrats euros depuis de nombreuses années.

Par ailleurs, l’eurocroissance souffre du même problème que le contrat euro et de manière tout a fait symétrique :

les taux faibles de rendement des obligations réduisent la rentabilité du contrat euro.

De la même manière, la faiblesse du taux des obligations limite la part « libre » (investissable en actif risqué) du contrat eurocroissance et en conséquence le sur-rendement que l’on en peut espérer. A titre d’exemple,des TME de 2,5% permettraient une part « libre » d’environ 20 % sur un contrat « eurocroissance » à 10 ans (en prenant l’hypothèse d’un taux technique à 80% du TME).

En faisant l’hypothèse (audacieuse) d’un sur rendement à long terme de 300 BP par rapport aux obligations sur cette part on obtient pour 100 euros placés 135 contre 130 dans un contrat en euros (en tenant compte d’une « poche » actions des contrats euros).

L’eurocroissance consiste donc à demander à l’assuré de renoncer à la protection instantanée des sommes investies pour un sur rendement non prouvé et aléatoire de 4% à 10 ans. Pas simple à vendre…

Lefèvre et Mme Berger ne s’y sont eux mêmes pas trompés puisqu’ils ont suggéré des mesures assez dures pour amener les plus gros assurés sur ce dispositif. Ils ont proposé que les sommes au delà de 500.000 euros soient soumises à la fiscalité de droit commun sauf à être investies dans ce nouveau dispositif. On ne pouvait trouver d’aveu plus flagrant de leurs doutes sur le succès spontané du produit.

Que faire alors si l’eurocroissance est, comme je le crois, promis à l’échec ? Comment orienter mieux l’épargne longue vers les produits risqués, problème qui reste entier en France ?

Peut être vaudrait il mieux utiliser des moyens compris des épargnants :

1 ne pas toucher aux caractéristiques des produits existants, ce qui aurait pour effet de rassurer sur la stabilité du système, objet de nombreux doutes aujourd’hui.

2 consentir aux contrats en unités de compte pour leur part risquée une fiscalité réellement incitative à la détention longue : absence de fiscalité au delà de 8 ans à la fois sur les intérêts (IR) et sur le capital (ISF).

Cette solution aurait l’avantage de ne pas perturber l’environnement de l’assurance. On me répondra qu’on n’a ni les moyens ni la volonté de baisser les impôts…mais avons nous les moyens de ne pas investir à long terme ?

Le projet de loi sur la consommation : faut renforcer la concurrence dans le secteur de l’assurance ?

Le projet de loi sur la consommation défendu par le ministre délégué a l’économie sociale et solidaire et à la consommation (un titre que je vous mets au défi d’expliquer à un étranger) M. Benoit Hamon provoque de nombreux débats chez les assureurs qu’ils appartiennent à l’économie sociale ou pas.

En un mot de quoi s’agit il ?

Les contrats d’assurance non vie des particuliers, pour faire simple,obéissent à deux règles spécifiques : il sont reconduits tacitement par les deux parties et leur résiliation tant pour l’assureur que pour l’assuré n’intervient qu’à l’échéance ou dans des cas particuliers.

Le projet de loi veut remettre en question cette résiliation à l’échéance et permettre, après la première année d’assurance, une résiliation à tout instant et sans motif pour l’assuré. L’assureur reste soumis aux obligations actuelles pour ce qui le concerne.

Il ne s’agit pas de remettre en cause la tacite reconduction, système particulièrement protecteur, qui garantit à l’assuré la continuité des couvertures sans qu’il s’en doive préoccuper.

Dans son état actuel, le projet dit que : « l’assuré a le droit de résilier les contrats et adhésions reconduits tacitement, sans frais ni pénalité, à partir du premier jour suivant la reconduction du contrat. » Le débat concerne donc la faculté de résiliation.

Les tenants du « statu quo »

Pour les tenants du système actuel, avant tout assureurs, le changement est porteur de risques pour la profession et de désavantages pour les assurés.

Pour les assureurs c’est la fin de l’annualité des contrats, avec des risques accrus de fraude. Les assureurs évoquent par exemple les résidences secondaires qui pourraient n’être assurées que pour quelques mois ou le locataire qui s’empressera de résilier sa police habitation une fois l’attestation d’assurance obtenue.

Pour les assurés, c’est l’augmentation immanquable des prix liée à des coûts d’administration accrus, du fait des changements plus fréquents d’assureurs et des frais subséquents d’établissement des polices. Les coûts d’acquisition de nouveaux clients augmenteraient aussi afin d’attirer et retenir des assurés de moins en moins fidèles.

Selon un courrier interne à la Fédération française des sociétés d’assurance, un point de résiliation annuel des clients représenterait un coût équivalent à 0,8% des primes perçues. En d’autres termes une augmentation de 10 point des résiliations se traduirait par 8% de frais supplémentaires et à terme autant d’augmentation des primes.

Les partisans de la mesure

Pour les partisans de cette mesure, le profit principal réside dans la baisse des primes que ne manquera pas de créer une plus forte concurrence. Par ailleurs, les limites à la résiliation sont souvent évoquées comme une source de conflit avec les assureurs qui serait alors éliminée. Il existe enfin des études qui montrent l’intérêt que porteraient les assurés à cette mesure : Selon une enquête réalisée par le CSA pour Amaguiz en juin 2008, 76 % des Internautes voient la liberté de résiliation comme une très bonne innovation.

Une autre étude réalisée par Ipsos pour le site lesfurets.com montre qu’un particulier gagnerait en moyenne 229 euros par an, s’il profitait de la meilleure offre du marché.

Une réalité moins tranchée

La vraie question consiste à savoir si cette nouvelle mesure va accroître de manière significative la concurrence, seule garante de l’intérêt du consommateur ?

Il est permis d’en douter si l’on considère la réalité actuelle, plus qu’à un accroissement on assistera sans doute à un maintien du niveau de concurrence.

La concurrence est déjà assez vive sur le marché. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les taux de sinistres à primes, indicateur des marges de l’industrie. Sous la pression de la concurrence ces taux sont particulièrement élevés et parfois supérieurs a 100%, signifiant que les assureurs paient plus qu’ils ne reçoivent. Et c’est aussi la concurrence qui a soutenu la croissance régulière des investissements publicitaires des assureurs au cours des dernières années malgré le maintien de l’échéance annuelle des contrats.

La date de résiliation à l’échéance fait l’objet d’une gestion active par les assureurs eux mêmes. Le nouvel assureur offre souvent aux assurés dont l’échéance de contrat est dans plusieurs mois la gestion de la résiliation pour leur compte. La résiliation à l’échéance retarde certes la date d’entrée en vigueur de la nouvelle police mais ne crée pas forcément une plus grande complexité pour l’assuré, au prix cependant d’une gestion lourde pour l’assureur.

On peut enfin signaler que la résiliation à tout instant est déjà mise en œuvre par un assureur. Celui ci stipule dans ces conditions générales que :

« Vous pouvez résilier votre contrat à tout moment… » Cette résiliation n’a pas de conséquence financière pour l’assuré : »Si vous ne résiliez pas à la date d’échéance de votre contrat, nous vous remboursons la part de prime déjà prélevée correspondante à la période non couverte. »

Par contre la résiliation en cours de première année donne lieu à des frais de dossier : « Des frais de dossier vous seront facturés pour toute résiliation intervenant au cours de la 1ère année pour tous les motifs non prévus par le Code des Assurances. »

En un mot le dispositif propose par B Hamon est déjà présent dans les polices de Amaguiz sans qu’il ait modifié fondamentalement les équilibres de marché.

Est ce à dire que cette loi est inutile ?

Sans doute pas, car elle intervient à un moment où les gains de productivité vont s’accélérer dans l’assurance et dans un contexte de concentration des compagnies. La saisie directe des données par les assurés, le suivi automatisé des sinistres, l’exploitation du big data sont autant d’outils qui diminuent les coûts unitaires de gestion et de distribution. Dans un environnement marqué par un nombre de plus en plus réduit d’opérateurs, de plus en plus gros, ces gains pourraient ne jamais être transmis aux assurés.

En maintenant la concurrence à un niveau élevé, cette loi peut garantir que cela ne soit pas le cas.

 

 

Joseph Schumpeter et la VAR à 99.5%

Au début du siècle, Joseph Schumpeter dans un livre devenu désormais célèbre « Théorie de l’évolution économique» introduisait, entre autres théories, l’idée de « destruction créatrice ». Cette théorie veut que l’innovation soit à la fois cause du progrès et des crises. Pour s’exprimer, l’innovation doit bousculer les structures en place et conduire à la faillite des monopoles et à la disparition des situations acquises. Dans cette vision du capitalisme, la faillite des entreprises est indissolublement liée au progrès des industries. L’invention de l’automobile ne peut se faire qu’au prix de la disparition des fabricants de calèches !

Nous avons aujourd’hui des exemples pratiques de cette destruction créatrice. L’image numérique a fait périr des géants de la photo argentique, la musique numérique a permis à Apple de détrôner les « monstres de l’analogique », la presse numérique met à mal les titres de la presse traditionnelle et menace leur existence.

Ce mouvement de disparition qui, selon Schumpeter, garantit le progrès, est combattu par tous ceux qui vont y perdre leur emploi et c’est tout à fait compréhensible.

Toutefois, c’est un combat souvent sans espoir et en paraphrasant Machiavel on pourrait dire « On n’évite pas une faillite, on ne fait que la différer à son désavantage»[1].

Le monde financier a entrepris de démontrer qu’il échappe pour sa part à cette règle. La faillite a été en quelque sorte bannie du vocabulaire de l’industrie financière. Une banque, une compagnie d’assurance ne doivent pas faire faillite.

C’est au nom de cette idée que nous avons collectivement choisi de sauver les banques en 2007/2008 et dans les années suivantes. Peut-être l’avons-nous payé de la mise en faillite des états, ce que nous saurons dans les années à venir.

Cette théorie de l’inconcevabilité de la faillite des sociétés financières a aussi une conséquence en assurance : c’est l’adoption du quantile 99.5% pour la VaR comme niveau de risque dans solvabilité 2.

En choisissant ce niveau on condamne (et j’insiste sur le terme condamner) les compagnies d’assurance à ne quasiment jamais faire faillite… avec pour conséquence, si l’on suit Schumpeter, une disparition de la destruction créatrice, du chaos créateur nécessaire au progrès de toute industrie.

S’accrocher au 99.5 % c’est évidemment donner une garantie très forte aux assurés. Mais cette garantie n’est-elle pas trop forte ? Ne donne-t-elle pas une prime aux entreprises en place, n’évite-t-elle pas l’entrée de nouveaux entrants ? Ne pèse-t-elle pas sur tout projet trop risqué ? N’interdit elle pas en fait l’investissement dans les entreprises industrielles ? Le prix de la sécurité accordée aux assurés a-t-il été réellement évalué par les régulateurs ? On peut en douter lorsqu’on entend les débats sur le calibrage des formules, les mesures contra cycliques, les primes de liquidité, la revue des garanties de long terme.

Toutes ces solutions ne restent que des cautères sur des jambes de bois : tant que l’idée même qu’une compagnie d’assurance peut faire faillite n’aura pas été acceptée, les législateurs devront accepter que l’industrie de l’assurance risque peu, et innove modérément. Et si M. Schumpeter avait connu la VaR à 99.5%, il se serait peut être posé la question « Can insurance survive ?[2] ».

[1] On n’évite pas une guerre, on ne fait que la différer à son désavantage Le Prince Machiavel

[2] Prologue de son livre de 1942 « capitlism, socialism and democracy » où Schumpeter écrit « can capitalism survive ? »