Qu’est ce qui pousse les réassureurs à devenir assureurs ?

Dire de l'industrie de l'assurance et de la réassurance qu'elle se cherche est peu dire. Nous avons vu dans un article précédent qu'elle ne savait plus quoi faire de son capital et voulait le rendre à ses actionnaires faute de pouvoir l'utiliser (voir communauté agefi du 20/03/2017). Voilà maintenant que Swiss Re annonce sa volonté d'aller toujours plus au contact direct, à faire toujours plus d'assurance directe selon le terme des réassureurs.
Non seulement Swiss Ré ne sait plus quoi faire de son capital et le rembourse à ses actionnaires mais il cherche aussi à remplacer le middleman, l'intermédiaire entre lui et le client, l'assureur, voire l'agent ou le courtier… Les deux volets de ces stratégies des réassureurs ont, je pense, en commun une erreur en matière d'objectifs de rentabilité des opérations.

Nous avons vu dans un article précédent les raisons du rachat d'action par les réassureurs. Les réassureurs ne veulent plus de capital car il est abondant du fait de la politique des banques centrales et rapporte donc peu. Comme leurs objectifs de rendement n'ont pas changé, le nombre de projets qui "en valent la peine" a fondu comme neige au soleil.

Pour rentabiliser le capital qu'il leur reste ou qui leur restera les réassureurs essaient désormais une autre voie : l'élimination du middle man, de l'intermédiaire pour aller au contact direct du client et du risque. Cette idée mélange allègrement foi du charbonnier et thèmes "à la mode". 
Les thèmes à la mode c'est évidemment l'insurtech, la fintech, le bitcoin, la blockchain, l'intelligence artificielle et j'en passe dans lesquels les réassureurs comme les assureurs ont entrepris d'investir… nous en reparlerons une autre fois. 
La foi du charbonnier c'est la conviction que le réassureur est à même de remplacer le middle man qu'est l'assureur, et la sous-estimation du rôle et du travail que fait ce dernier.
Etre assureur ce n'est pas être réassureur, ceux qui ont fait les deux métiers le savent bien. Le réassureur ne sait et ne peut pas gérer. Son modèle économique est celui d'un gestionnaire de capital, qui "de minimis non curat". Les lois locales, la gestion individuelle des sinistres, la collecte des primes, la comptabilisation des opérations selon des impératifs fiscaux locaux ne sont pas sa spécialité. Son modèle doit fournir du capital au meilleur coût, ce qui l'a toujours poussé à déléguer les actes élémentaires de gestion à des middleman, les assureurs. Vus de certains états majors il s'agit là de détails mineurs. 

De plus la sagesse historique des réassureurs les a conduit à ne confier si possible leur destin qu'à des middle men avec du "skin in the game". L'assureur prend une part du risque et c'est une condition nécessaire pour garantir le follow the fortune et la convergence des intérêts entre les deux acteurs, garantie d'une gestion diligente du risque.
En un mot l'abondance de monnaie entraîne une baisse artificielle des rendements, qui fausse la mesure de la rentabilité, poussent de nouveaux acteurs dans une industrie qu'ils ignorent et poussent les acteurs en place à assumer des rôles qu'ils méconnaissent. A la fin de influence malfaisante de l'émission monétaire, si bien décrite par Mises et les économistes autrichiens, une industrie où chacun désire faire, sans le connaître, le travail de l'autre…

Pourquoi les (ré)assureurs veulent-ils rendre du capital à leurs actionnaires ?

coins-1726618_640Après Munich Re , c’est maintenant Swiss Re qui annonce sa volonté de rendre du cash aux actionnaires faute d’opportunités d’investissement. Et ce phénomène ne concerne pas que les réassureurs, les assureurs aussi, à l’image récente de Allianz , parlent de racheter des actions faute de savoir comment utiliser ce capital excédentaire.

Doit on en conclure que le marché de l’assurance est totalement saturé? Qu’il n’y a plus rien à vendre aux clients ? Que ceux ci sont si bien couverts que désormais rien ne peut leur arriver pour lequel ils ne soient protégés ?

Ceux là même qui remboursent leurs actionnaires n’en semblent pas convaincus et Swiss Re continue à étudier année après année le « protection gap » qui montre que la distance est grande entre les besoins et la couverture en matière d’assurance de personnes . En matière d’assurance de dommages, chaque catastrophe montre le faible rôle joué par les assureurs dans la facture finale .

Si les marchés sont loin d’être saturés, pourquoi ce défaitisme, cette apparente résignation, cette absence de volonté de croître ? Les causes en sont sans doute multiples et attardons nous sur quelques unes seulement sans prétendre à l’exhaustivité.

D’abord et sans doute il y a le recul du métier d’assureur. Ceux qui ont officié dans cette industrie depuis de nombreuses années ont pu constater le remplacement de la logique des assureurs par celle des « financiers », avec un goût marqué pour la performance de court terme.

Or rares sont les marchés d’assurance qui peuvent se satisfaire du court terme. Comment offrir des produits dont l’objet est la couverture de risques à long terme (santé, retraite, dependance) avec l’œil rivé sur les résultats trimestriels ? Aucune chance évidemment d’y parvenir. Un tel strabisme condamne donc à n’opérer que dans un champs très limité (assurance short tail). Et encore dans ce domaine, le court termisme conduit à réaliser en permanence des entrées sorties qui finissent par rendre les clients infidèles au risque que la situation ne devienne ingérable. Avec la progression du court-termisme dans les entreprises d’assurance, il est probable que seules les mutuelles auront bientôt encore la capacité d’assurer (si elles ne succombent pas aux sirènes des « financiers »).

La deuxième cause, et on ne le répètera jamais assez, c’est la folle politique des banquiers centraux et leur injection massive de liquidité. Celle ci a faussé la mesure du risque et des rendements. Cela ne serait rien si la logique financière qui a remplacé celle de l’assurance n’avaient retenu, comme dans la banque, des primes de risques irréalistes pour évaluer les investissement. Certains parlent ainsi encore de rentabilité de 10% au dessus de l’actif sans risque, illustrant leur incompréhension de l’univers des risques et de leur mesure. Ce faisant ils ont condamné des pans entiers de leur activité qui ne peuvent évidemment, ni à court ni à long terme, offrir bien plus que 2 à 3 % au dessus de l’actif sans risque.

Du fait de ces analyses, les assureurs ont renoncé à couvrir des marchés gigantesques. Ils sont entrés dans l’époque de la mort lente, mort qui en assurance se nomme run-off et qui est d’autant plus agréable qu’elle est adoucie par les profits que tout run-off génère.
—————
1 https://www.munichre.com/en/media-relations/publications/press-releases/2017/2017-03-15-press-release/index.html
2 http://www.swissre.com/media/news_releases/nr_20170316_agm.html
3 https://www.allianz.com/en/investor_relations/announcements/ir_announcements/170216a.html/
4 http://media.swissre.com/documents/Mortality%20protection%20Gap_%20Asia%20Pacific%20-%20FINAL.pdf
5 http://www.swissre.com/media/news_releases/The_USD_13_trillion_disaster_protection_gap.html
6 En effet ces remboursements d’action ont lieu sur fonds de résultats tout à fait acceptables.

Que restera-t-il de Solvabilité 2 après la loi Sapin 2?

Solvabilité 2 a-t-il pris un sérieux coup de vieux le 10 juin pour les assureurs vie ?

C’est le jour où l’Assemblée Nationale a adopté en première lecture un amendement à la Loi dite Sapin 2 qui dit : « (le haut conseil pour la stabilité financière) peut, sur proposition du gouverneur de la Banque de France, président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices pour les personnes mentionnées aux 1°, 3° et 5° du B du I de l’article L. 612‑2 ou une partie d’entre elles ; ».

Ainsi un organisme externe à l’entreprise peut décider la modulation des règles de dotation, reprise sur la réserve de Participation aux bénéfices. Et ce pouvoir est particulièrement large puisqu’il couvre aussi bien des cas individuels (une partie d’entre elles) que l’ensemble du marché.

Je n’insisterai pas ici sur l’intérêt relatif d’ajouter encore un acteur au contrôle des compagnies d’assurance[1], je parlerai donc plutôt des principes de solvabilité 2.

Car solvabilité 2, au delà des débats concernant les calculs de l’exigence de capital dite pilier 1, repose avant tout sur une philosophie de la responsabilité des dirigeants (et aussi de l’ensemble des personnels) des entreprises d’assurance.

Pour faire simple on peut dire que solvabilité 2 est basée sur les idées suivantes :

  • Les compagnies d’assurance sont administrées par des directeurs et des administrateurs « compétents et intègres » (fit and proper),
  • Qui connaissent les risques qu’ils font prendre à leur entreprise,
  • Tant à court terme (calcul du pilier1) qu’à plus long terme grâce à l’ORSA,
  • Et sont capables de prendre les decisions qui s’imposent pour remédier à ou pour éviter des conséquences négatives. Ce sont les « management actions » parfois modélisées dans les modèles internes.

On peut légitimement se demander ce qu’il restera de cette philosophie si l’amendement adopté en première lecture prospère ?

On aura alors ébranlé l’idée qu’un marché est un ensemble d’opérateurs aussi compétents que possible soumis à un contrôle individuel et dotés d’une éthique de responsabilité personnelle.

On y aura substitué une vision du monde où le « macro » serait autre chose que la rencontre des des intérêts privées. Et ce macro serait lu par des sages avec plus de clairvoyance que les opérateurs eux-mêmes au nom d’un intérêt général toujours mal defini[2].

On aura enfin favorisé une philosophie de management fondée sur « l’important n’est pas de ne pas faire d’erreurs, c’est de faire les mêmes que les autres. Si ça va mal, ça ira mal pour tout le monde et l’Etat prendra les mesures qui s’imposent. »

A l’heure où on commence à se demander si les banques centrales, sur la base de cette vision « macro », n’ont pas été et ne sont pas encore les responsables d’une crise qui n’en finit pas, ce serait catastrophique[3]. Et comme tous les économistes savent que la mauvaise monnaie chasse la bonne, il faut toujours craindre que les mauvaises idées ne chassent les bonnes…

[1] comme disait le General De Gaulle il ne faut pas craindre dans ce domaine le vide mais plutôt le trop plein…

[2] on citera à ce propos la célèbre phrase de Detoeuf : « L’intérêt général n’a été vraiment défini que par Pascal. C’est un cercle dont le centre est partout, la circonférence nulle part. »

[3] voir « the game central banks play and how it leads to crisis » de Anjum Hoda

Solvency 2 and the magic behind the 99,5% limit

Choosing a limit for the probability of ruin is not an obvious task and we have no ambition to change here the theoretical and practical choices made by the regulators for Solvency 2.

As you know some pretend that the figure appeared all of a sudden, with no real discussion within the industry. Anyway, the famous 99,5% over a one-year horizon is now heavily embedded in regulation in article 101 of the directive.

But how does the 99,5% reacts when applied to real world or how compatible is this « magic » with reality?

1 the 99,5 %, an economic perspective

The issues in our view don’t lie into the figure itself but what it reveals regarding the conception of the industry in regulators’ eyes: for regulators the disappearance of an insurance company should be as remote as possible, and only under highly stressed situations. This is no wonder, for the main mission of the regulator is to guarantee as safe an industry as possible. Regulators are here to prevent bankruptcy and to guarantee that companies will exist to pay when needed.

Adopting a 99.5% limit is, in the real world, trying to get rid of most potential scenarios of disappearance of companies.

But it is commonly accepted that renewal of companies and destruction of capital is a natural tendency of capitalism. Even if you are not an adept of Schumpeter and of his creative destruction, you may accept that capital renewal is playing a role in the efficiency of capitalism. As stated by Jacques Banville: « Everybody knows that a cent invested in year one of our era would be today a mass of gold covering the entire globe. The assumption is however stupid. What balances it is that a capital is bound to be destroyed several times during 19 centuries »[1].

This is why people with fortunes dating hundreds of years back are so rare. There is a constant renewal of capital through renewal of companies in capitalism. Anti-capitalists even see it as a major source of evils, especially in the social and human field. The critics are always about the human cost involved in this « arbitrage », not really in its association to capitalism.

This cycle of disappearance is a way of getting rid of non-performing assets, permitting a constant and good allocation of capital. This case was illustrated by the destruction of carriages in favour of cars manufacturers.

And we, insurers, are professionals of capital allocation. Oddly enough it is the part of the system that is in charge of the regulation of capital allocation, the financial system, that is prevented from efficient internal capital allocation. And the protection lies in this 99,5% limit.

I think this protection is incredibly costly and in fact impossible to sustain in the longer term.

For those who have any doubt, just take a view at the 2008 crisis and the cost involved to prevent bankruptcies of banks. Billions pumped into the economy with limited success, reduction in the number of banks, reduced competition and last but not least bankruptcies of Nation States.

2 In insurance the attempts to implement solvency 2 are revealing the problems related to the choice of this limit. Let’s explore some:

the regulator itself had to cheat and to invent exceptions so that the scheme fits into reality. The case for OECD sovereign bonds considered as « default risk free » assets is a stunning example! Under solvency 2 Greece bonds are low risk assets…

The quiet acceptance of this incredible idea that government bonds were risk free assets and required no capital charge is in contradiction to any ERM system. However it was a nice way to get rid of a potential problem: by stating that OECD sovereigns were risk free the governments were making it easier to finance their deficit.

The combination of 99,5% and one year horizon has important consequences on the capital charge of equities. The critics made by the industry are in fact the critics of the impossibility to risk significant amount of assets when your balance sheet is supposed to be « as safe as the Bank of England » (if by any chance you think Bank of England is safe). Once you have adopted 99,5% and one year, the capital charge is a mere consequence of calculations based on volatility.

The number of tricks invented to try and make compatible 99,5% and real economy are many and sometimes weird. Liquidity premiums, contra cyclic premiums, and now volatility balancers belong to these.

I suspect, without any proof, that it is the growing conscience of the impossibility to make compatible the 99,5% and the real world that the ORSA is taking such an importance in the current discussions; It is the place where reality meets regulations, as Kafka meet Alice in Wonderland.

[1] « Tout le monde sait qu’un sou placé à intérêts composés depuis l’an premier de notre ère formerait une masse d’or plus grosse que notre globe lui-même. Sur le papier, cette progression arithmétique n’est pas contestable. L’hypothèse est pourtant absurde. Ce qui la corrige, c’est qu’un capital est condamné à être détruit un grand nombre de fois dans le cours de dix-neuf siècles. » J Bainville.

Solvabilité 2 : la guerre entre actionnaires et management a t elle commencé en Hollande ?

battle-144551_1280C’est parti : solvabilité 2 est en place depuis moins d’un trimestre et déjà un premier contentieux à l’horizon.

On aurait pu penser que le premier contentieux du genre opposât un régulateur à une compagnie sur des problèmes aussi complexe que la gouvernance interne ou les hypothèses de modélisation. Qu’on se rassure ces contentieux apparaîtront en leur temps.
Il s’agit pour le moment d’un contentieux entre un actionnaire et le management de la compagnie en l’occurrence entre Highfields et le management de Delta Lloyd aux Pays Bas.

Le management demande une augmentation de capital afin de renforcer une marge de solvabilité qu’il juge trop faible. La marge actuellement calculée par le management est de 130% et il entend la porter à 160%. Grâce à une augmentation de capital de 650 million.

Dans un long document Highfields explique en détail son refus de l’augmentation proposée :

• Il affirme d’abord que le taux de solvabilité n’a pas de sens au delà de 150% et il en apporte pour preuve les déclarations des compagnies néerlandaises Vivat, Aegon, ASR.
• Il affirme que la société est suffisamment capitalisée pour faire face à une éventuelle diminution du ultimate forward rate de 4,2% à 3,2% décidée par le régulateur. On remarquera que le modèle interne partiel est appelé à la rescousse pour justifier le point.
• Il dit enfin que le régulateur lui même est tout à fait satisfait du niveau de solvabilité du marché néerlandais.

On ne peut dire aujourd’hui si cette action prospérera mais elle soulève des problèmes jusque là occultés par les discussions de solvabilité 2, toute centrées sur le réglementaire et les calculs.
1. Elle annonce des guerres possibles entre actionnaires et management. Les questions de C. Icahn sur AIG et son caractère systémique ne procèdent pas d’une autre logique. Le nouveau cadre réglementaire a sans doute sous-estimé cet aspect du problème. On peut imaginer que les deux parties chercheront à mettre le régulateur dans leur camp ce qui n’est pas gagné, car on voit mal le régulateur entraîné dans ces conflits.
2. Cette guerre va se cristalliser dans le taux de solvabilité nécessaire, taux qui sera poussé naturellement à la hausse par le management et à la baisse par les actionnaires. Et une question lancinante de solvabilité 2 va remonter à la surface : quelle est la solvabilité « idéale »? pourquoi diable dépasser 100%? Highfields rappelle à ce propos que la marge à 100% correspond à un niveau élevé de sécurité.
3. Mais le niveau de solvabilité n’est que la conséquence, comme le rappelle aussi Highfields, du modèle interne dont il demande que la sortie soit accélérée.

Solvabilité 2 était vu jusqu’ici comme un exercice théorique, il se heurte à la réalité du monde des affaires et dans ce monde il fait apparaître les premières divergences entre actionnaires et management. Dans cet échange chacun a ses armes, le contrôle de l’argent pour l’actionnaire, le contrôle des modèles pour le management, sous l’oeil attentif et prudent du régulateur.

Le modèle interne, une « ardente obligation » de solvabilité 2.

laptop-1104066_1920Dans un papier récent[1], le Reinsurance Advisory Board[2] livre la vision des réassureurs sur l’intérêt des modèles internes et son inquiétude en face d’une attitude parfois très critique des régulateurs à leur endroit. Les réassureurs craignent même que les progrès accomplis grâce à l’existence des modèles internes ne soient remis en cause ainsi pour eux :  » Mandating the use of standard formulas or imposing supervisory overlays would threaten the progress that has been made in risk management in the insurance sector »

Depuis le début des débats sur solvabilité 2 la question des modèles internes révèle les doutes et les ambiguïtés des régulateurs. Plus encore le modèle interne pose la question de la régulation de l’industrie de l’assurance et des formes qu’elle doit prendre.

Car promouvoir et adopter le modèle interne, c’est promouvoir un système fondé sur l’auto-regulation. L’alternative c’est le « modèle standard », un ensemble de formules imposées tolérant quelques variations liées à l’entreprise, plus conforme à une régulation de type « top down ». Le modèle interne est quant à lui d’essence libérale. Il repose sur l’idée que l’entreprise seule est responsable de sa solvabilité. Que ses équipes en connaissent mieux que quiconque les tenants et les aboutissants. Que les contre-pouvoirs s’y exercent librement. Que pour rendre compte de la complexité de la réalité de l’entreprise d’assurance le modèle interne ne saurait être enserré dans des règles strictes. Et que le régulateur n’en est que le « lecteur attentif ».

Les intentions fondatrices de solvabilité 2 voient bien dans le modèle interne une fin et dans le modèle standard une solution transitoire. Dans ce monde, la normalité est le modèle interne et le recours à un modèle standard une anomalie à devoir justifier.

Et c’est bien naturel : le modèle standard est fondé sur des moyennes, dont il serait étonnant qu’elles s’adaptent aux situations particulières des sociétés. Loin d’être une norme obligatoire le modèle standard ne devait être qu’une aide, une orientation donnée aux entreprises en attendant qu’elles ne développent leur propre modèle.

Hélas, ces idées légitimes ont cédé face à la crainte de la Liberté, crainte qui, comme chacun sait, est la plus commune des malédictions dont ait eu à souffrir l’humanité.

Certaines autorités de contrôle n’ont pas caché dès l’origine leur opposition aux modèles internes et ont favorisé une approche « standard ». Elles ont souvent trouvé des appuis auprès de companies qui voyaient dans le « one size fits all » une garantie de moindre concurrence.

Même les autorités les plus favorables ont voulu soumettre à approbation préalable le modèle interne. Or les obstacles pratiques à cette approbation sont nombreux: absence d’effectifs suffisants chez le régulateur, absence de certaines compétences très pointues, absence de points de référence, nécessité de connaître les pratiques mondiales pour les groupes internationaux[3][4].

Cette complexité créée par le régulateur lui même a découragé les marchés les plus enclins à recourir au modèle interne comme la Grande Bretagne[5].

Les réassureurs ont raison, ne pas favoriser l’utilisation des modèles internes, les enserrer dans un réseau de normes est un danger. On ne fera par là qu’affaiblir l’objet central de la régulation : la gestion de l’entreprise par les risques (ERM). On risquera alors de favoriser de mauvaises habitudes : arbitrage sur base des règles et formules les moins conformes à la réalité, unification des conditions de marché et diminution corrélative de la concurrence, prime donnée aux plus gros.

Et quand on se réveillera on aura une industrie concentrée, remplie de faux réflexes et ne rendant plus aux clients les services qu’ils attendent d’elle.

[1]internal models a reinsurance perspective.

[2] qui regroupe les principaux reassureurs mondiaux

[3] qui par un curieux caprice du sort sont évidemment les plus preneurs de modèles internes.

[4] on raconte que les modèles de grands groupes ont jusqu’à 10.000 pages de documentation…

[5] on dit que sur les 120 compagnies qui ont demandé une approbation seules 19 sont restées en course à la fin.

Industrialiser solvabilité 2 va changer les entreprises d’assurance.

Depuis quelques mois l’ambiance et les impératifs autour de solvabilité 2 ont sensiblement changé dans les compagnies d’assurance. Fini le mode projet, finis les calculs affinés sans cesse du pilier 1 ou les réflexions savantes sur le pilier 2 et le rapport Orsa, place à l’industrialisation du processus et ses impératifs. Car solvabilité 2, ses œuvres et ses pompes c’est dans un an.

Les entreprises ont découvert que le poids des éléments quantitatifs à livrer n’est pas léger : cinq clôtures par an, trimestrielles et annuelles vont désormais rythmer la vie des entreprises d’assurance qui n’y étaient pas forcément toutes habituées. On peut évidemment parier que le mode « simplifié » des calculs dominera la livraison des chiffres trimestriels chez de nombreux assureurs, au détriment du mode « élaboré » réservé au clôtures annuelles. Simplifié ou élaboré, il n’en reste pas moins que les délais de livraison sont une contrainte importante.

Je me rappelle d’une vie antérieure où la soumission à ces clôtures trimestrielles avait créé chez les comptables une habitude de compter en « clôtures » à l’image des militaires comptant leur années de campagne. Untel avait « fait » 20 clôtures, tel autre 30…

Le passage du mode projet au mode « business as usual » est loin d’être évident et nombreuses sont ses conséquences et les éléments qu’il révèle.

  • D’abord, et c’est le plus important, il révèle l’extraordinaire complexité qui règne dans les données d’exploitation des assureurs et dans leur comptabilité. Peu mentionnent les trésors de conscience et de travail que recèlent les équipes comptables. Car si la comptabilité est un art celle des assureurs est sans doute la plus élaborée au sein de cet art. Rendre compte du fameux « cycle inversé » de production est un sujet complexe[1].
  • Il met aussi en évidence le sujet sensible de la qualité des donné Souvent issues de systèmes différents à l’intérieur de la même société, il n’est pas simple d’en garantir l’homogénéité et la convergence. Si la directive rend clairement le titulaire de la fonction actuarielle responsable de la qualité des données, la mise en place pratique de cette responsabilité est loin d’être faite. Les nombreuses étapes qu’elle suppose : Plan de gouvernance des données, identification des propriétaires de chaque donnée, qualification de chaque donnée, etc. n’en sont souvent qu’à leur balbutiement
  • Il montre aussi que les processus actuels ne sont plus compatibles avec une production accélérée de résultats et de chiffres. L’heure a sonné de l’industrialisation des opé Et sur la route vers cette industrialisation se dresse, entre autre, un obstacle de poids : le tableur. Des articles récents commencent à évoquer ce problème. Le tableur est largement utilisé dans les entreprises pour les calculs intermédiaires injectés par la suite dans les processus comptables. Or le tableur n’est pas adapté à un monde de production industrialisée des chiffres et pour de nombreuses raisons. il ne garantit par exemple pas la traçabilité des opérations, point essentiel dans la production automatique des chiffres. Les entreprises suppléent à cette faiblesse en édictant des règles impératives en ce qui concerne la protection, la circulation des feuilles et leur archivage. Mais ces règles restent difficiles à appliquer de manière stricte.

L’heure de l’industrialisation de solvabilité 2 a sonné. Cette industrialisation aura, à mon avis, autrement plus d’impact que l’élaboration des principes de la directive dont nous sortons. Elle va contraindre à des changements majeurs pour obéir à des calendriers serrés. Car ce n’est pas au pied du mur qu’on voit le maçon, mais en haut…

[1] Je ne fais pas ici allusion aux querelles byzantines auxquelles se livrent actuellement les moines de l’IFRS.

Qui doit choisir les dirigeants dans l’industrie financière ?

Il y a quelques mois, une compagnie d’assurance anglaise a été victime d’une aventure malheureuse : le candidat qu’elle avait choisi n’a pas été jugé assez compétent par l’autorité de contrôle anglaise pour exercer une fonction de direction. Je ne me prononcerai sur la qualité de cette décision ne connaissant pas l’impétrant et ses capacités. Je parlerai plutôt de l’étrange conception de l’économie que révèle cette décision et d’une manière générale le principe du « fit and proper », en français « compétence et honorabilité ».

Ce principe conduit d’abord à priver le dirigeant de son droit le plus important et le plus élémentaire : le libre choix de ses collaborateurs. Ce faisant il prive aussi l’actionnaire de ce droit. Ainsi, un candidat qui avait été jugé compétent et apte à exercer une fonction par le directeur général et, on l’imagine à ce niveau de responsabilité, par un ou plusieurs administrateurs, ne le peut pas. Et la société dont il s’agit est connue pour la qualité de sa gestion, de ses résultats et de son management. En lieu et place de ce jugement par des responsables internes, la décision de la compétence à exercer dans cette société, dans cette position, revient à des extérieurs. La liberté de choisir les collaborateurs, nécessaire au fonctionnement de l’entreprise, est mise à mal. Il en va de même pour le choix du dirigeant par les actionnaires.

En France, les mutualistes ont toujours insisté sur les dangers que de telles restrictions faisaient peser sur la gouvernance des entreprises. Elles ont toujours, avec raison, défendu la souveraineté d’assemblées représentatives des sociétaires pour choisir les dirigeants.

En procédant ainsi, le régulateur endosse une triple responsabilité :

  • En refusant à un patron de travailler avec le collaborateur qu’il avait originellement choisi et l’amenant à prendre son « second choix » il sera peut être à la source de dysfonctionnements créant des risques accrus pour la compagnie.
  • En acceptant un autre candidat qui se révèlerait inapte par la suite il assume directement la responsabilité des échecs de l’entreprise.
  • En soumettant tous les responsables au même processus, si ce n’est aux mêmes critères de sélection, il risque de créer l’uniformité d’où naquit chacun le sait, l’ennui mais aussi, et on le dit moins, la crise.

Joseph Schumpeter et la VAR à 99.5%

Au début du siècle, Joseph Schumpeter dans un livre devenu désormais célèbre « Théorie de l’évolution économique» introduisait, entre autres théories, l’idée de « destruction créatrice ». Cette théorie veut que l’innovation soit à la fois cause du progrès et des crises. Pour s’exprimer, l’innovation doit bousculer les structures en place et conduire à la faillite des monopoles et à la disparition des situations acquises. Dans cette vision du capitalisme, la faillite des entreprises est indissolublement liée au progrès des industries. L’invention de l’automobile ne peut se faire qu’au prix de la disparition des fabricants de calèches !

Nous avons aujourd’hui des exemples pratiques de cette destruction créatrice. L’image numérique a fait périr des géants de la photo argentique, la musique numérique a permis à Apple de détrôner les « monstres de l’analogique », la presse numérique met à mal les titres de la presse traditionnelle et menace leur existence.

Ce mouvement de disparition qui, selon Schumpeter, garantit le progrès, est combattu par tous ceux qui vont y perdre leur emploi et c’est tout à fait compréhensible.

Toutefois, c’est un combat souvent sans espoir et en paraphrasant Machiavel on pourrait dire « On n’évite pas une faillite, on ne fait que la différer à son désavantage»[1].

Le monde financier a entrepris de démontrer qu’il échappe pour sa part à cette règle. La faillite a été en quelque sorte bannie du vocabulaire de l’industrie financière. Une banque, une compagnie d’assurance ne doivent pas faire faillite.

C’est au nom de cette idée que nous avons collectivement choisi de sauver les banques en 2007/2008 et dans les années suivantes. Peut-être l’avons-nous payé de la mise en faillite des états, ce que nous saurons dans les années à venir.

Cette théorie de l’inconcevabilité de la faillite des sociétés financières a aussi une conséquence en assurance : c’est l’adoption du quantile 99.5% pour la VaR comme niveau de risque dans solvabilité 2.

En choisissant ce niveau on condamne (et j’insiste sur le terme condamner) les compagnies d’assurance à ne quasiment jamais faire faillite… avec pour conséquence, si l’on suit Schumpeter, une disparition de la destruction créatrice, du chaos créateur nécessaire au progrès de toute industrie.

S’accrocher au 99.5 % c’est évidemment donner une garantie très forte aux assurés. Mais cette garantie n’est-elle pas trop forte ? Ne donne-t-elle pas une prime aux entreprises en place, n’évite-t-elle pas l’entrée de nouveaux entrants ? Ne pèse-t-elle pas sur tout projet trop risqué ? N’interdit elle pas en fait l’investissement dans les entreprises industrielles ? Le prix de la sécurité accordée aux assurés a-t-il été réellement évalué par les régulateurs ? On peut en douter lorsqu’on entend les débats sur le calibrage des formules, les mesures contra cycliques, les primes de liquidité, la revue des garanties de long terme.

Toutes ces solutions ne restent que des cautères sur des jambes de bois : tant que l’idée même qu’une compagnie d’assurance peut faire faillite n’aura pas été acceptée, les législateurs devront accepter que l’industrie de l’assurance risque peu, et innove modérément. Et si M. Schumpeter avait connu la VaR à 99.5%, il se serait peut être posé la question « Can insurance survive ?[2] ».

[1] On n’évite pas une guerre, on ne fait que la différer à son désavantage Le Prince Machiavel

[2] Prologue de son livre de 1942 « capitlism, socialism and democracy » où Schumpeter écrit « can capitalism survive ? »