L’ajout de crème dans l’assurance vaut il un euro ?

pot-996977_1280Au restaurant à midi j’ai remarqué que les moules frites au vin et à la crème coûtaient 1 euro de plus que les moules frites au vin sans crème. Cette différence m’a plongé dans des océans de doutes : comment être sûr qu’il y a bien pour un euro de crème dans la version crémeuse ? Et sur cet euro de différence, quel est le taux de marge ? Je me suis rendu compte que j’étais bien seul face à ce problème : il n’existe pas une seule obligation légale de décomposition du prix de la moule frite dans ses éléments techniques de base, avec ou sans crème, pour éclairer mes doutes !

Çe que l’on ne fait pas pour la moule frite on le fait pour l’assurance et les régulateurs se posent régulièrement le problème du prix de vente en rapport du prix de revient des garanties. Et comme il n’y a pas de moules, de vin, de patates et d’échalotes dans l’assurance, la question prend une forme un peu différente : quel est le rapport entre les éléments de base de risque du produit et son prix de vente ? Cette question, sous la forme du « Price optimisation », occupe certains régulateurs américains :

Pour tarifer l’assureur utilise traditionnellement des variables liées directement ou indirectement au risque : âge, ancienneté du permis, historique d’accident… ou au moins acceptés comme liés au risque. Mais que se passe-t-il quand l’assureur se met en tête d’inclure une variable comportementale comme « l’élasticité du client à une hausse des prix » ? Dans ce cas la prime pourrait être augmentée en tenant compte de cette plus forte tolérance au prix de l’assuré (hors de toute base « technique »).

En un mot les débats récents sur le « Price optimisation » portent sur la question : peut on tenir compte des comportements d’achat des consommateurs pour déterminer le prix qu’ils doivent payer au delà des seules caractéristiques techniques ?

La réponse est clairement oui dans les autres domaines d’activités : les lignes aériennes, les supermarchés, les compagnies de chemin de fer et même les… moule frites prennent en compte des « modèles » de comportement d’achat pour optimiser les grilles de prix.

L’assurance devrait, selon ces régulateurs[1], ne déterminer ses prix que sur la base du coût de revient. En s’écartant de la tarification « technique », le prix n’est plus le reflet du seul risque et pourrait même conduire, selon eux, à des discriminations.

Il est étonnant au début du 21ème siècle de devoir rappeler que les prix sont déterminés par la confrontation de deux volontés, celle de vendre et celle d’acheter.[2] et dans cette confrontation le prix de revient ne joue guère que le rôle de « plancher » pour le vendeur[3].

Il importe peu au client de savoir les voies qu’a choisies l’assureur pour établir son prix, pas plus que n’a d’importance la part de l’intermédiaire dans cette affaire. Comme pour les moules frites, c’est l’augmentation de la satisfaction du client par l’ajout de crème qui doit guider plus que la justification de l’euro supplémentaire…

[1] Encore font-ils l’impasse sur le problème pratique de l’affectation des coûts aux polices ou des effets de mutualisation.

[2] Il faut bien parler ici de volonté de vendre et de volonté d’acheter, L’économie n’est que l’étude de l’action humaine comme le dit justement Von Mises.

[3] Et encore…

Assurance vie sans garantie n’est que ruine de l’âme de l’assureur.

La persistance des taux d’intérêt bas ne manque pas d’inquiéter les assureurs vie et les régulateurs un peu partout dans le monde. Récemment l’Association Actuarielle Européenne a constitué un groupe de travail afin d’explorer les conséquence de ce mouvement.

Il était temps car on observe un peu partout que les assureurs en ont tiré l’idée qu’il faut éliminer toutes les garanties.

Ils le font en limitant ces garanties au maintien du capital lorsqu’il s’agit de contrat en euros et en proposant aux assurés de plus en plus de contrats en unité de compte.

Le client se trouve ainsi de plus en plus seul face au risque des marchés financiers qu’on lui demande d’assumer.

Pourtant, comme vient de le rappeler opportunément le président de l’institut des actuaires allemands, W Schneemeier[1], la garantie des taux fait partie des outils nécessaires à la fourniture de ce service essentiel de l’assureur qu’est la préparation de la retraite. Sans taux garanti comment permettre le maintien des valeurs sur plusieurs décennies ? Comment permettre à l’assuré d’avoir une retraite suffisante dans 40 ou 50 ans ?

Depuis de nombreuses années les assureurs-vie semblent avoir oublié leur rôle très particulier dans l’univers financier. L’enseignement classique de l’assurance-vie est passé de mode et la définition de l’assureur-vie, non pas gestionnaire au jour le jour de placements financiers mais gestionnaire du cycle de vie des clients n’évoque plus grand chose. Pour beaucoup d’assureurs, souvent issus du monde bancaire, l’assurance est un succédané de compte bancaire, dans lequel l’assuré place son argent en échange d’une liquidité parfaite et d’une rémunération aléatoire, comme dans le cas d’un contrat en unités de compte.

Seules quelques parties marginales de l’assurance-vie sont fidèles à l’idée que l’assureur est un gestionnaire du cycle de vie et que les paiements ne doivent pas être le fruit de la volonté du client. Les contrats collectifs retraite, les fonds de pension restent inspirés par cette idée, en un mot que la liquidité du contrat est réduite. L’âge de la retraite ou quelques événements limitativement décrits permettent de récupérer les sommes.

On sent bien que les restrictions portées à la liquidité permettent de garantir, vocation première de l’assureur. Mais on sait aussi que la seule restriction de la liquidité ne suffit pas à permettre la garantie. Ainsi dans les contrats à prestation définies, des garanties trop fortes et trop longues n’ont pas compensé les avantages de placement liés à la restriction de la liquidité.

M. Schneemeier propose de limiter les durées de garantie pour éviter ces problèmes.

Les assureurs disposent donc de deux outils pour continuer à fournir des garanties : la restriction apportée à la liquidité des contrats et la limitation de la durée des garanties.

Or ils semblent aujourd’hui faire le choix délibéré de la liquidité au détriment de la garantie. En refusant de toucher à la liquidité des contrats ils sont obligés de renoncer à la garantie. C’est bien le mouvement amorcé avec les unités de compte… Ce mouvement met toujours plus en risque la profession en la rapprochant très dangereusement de la banque, accroissant mécaniquement la concurrence à laquelle elle est soumise.

Ce primat donné à la liquidité n’est qu’une des options stratégiques possibles et sans doute la moins conforme aux savoirs de long terme de l’assureur-vie. C’est pourquoi on peut s’étonner que ce dernier ne cherche pas dans la réduction de la liquidité et de la durée des garanties une solution plus conforme à ses intérêts.

Renoncer à la garantie est un pari plus dangereux qu’il ne paraît pour les assureurs vie. Assurance-vie sans garantie n’est que ruine de l’âme.

[1] Versicherung Wirtschaft 14/09/15 Ohne Garantien würde die Lebensversicherung keine wirklichen Altersvorsorgelösungen mehr biete

Uber va t il renforcer l’intermédiation en assurances ?

Uber en France en juin, c’était un psycho-drame comme les français les adorent (de moins en moins ?). Voitures brûlées, violences, mise en examen des dirigeants.

Mais le plus gros problème d’Uber ne réside pas à mon avis dans les attaques des chauffeurs de taxis et des gouvernants. Le pb central d’Uber c’est… L’assurance.

Les premiers problèmes en la matière sont apparus en Californie. Le refus des assureurs de consentir des garanties qui ne concernent pas les utilisations commerciales d’une voiture assurée à titre privé ont mis en évidence les limites du système Uber. C’est ainsi qu’est apparue la nécessité de couvrir les véhicules dans une société qui ne peut vivre sans assurance.

Après de longs débats, le Parlement de Californie a imposé une couverture d’assurance. Ainsi depuis cette année, Les conducteurs Uber californiens doivent être couverts dès qu’ils répondent à une demande de coursev. Lors de la prise en charge du client, la couverture est portée à $1mn.

Et l’histoire n’est pas différente avec les autres « uberisations » : dans le cas de Airbnb, le site français évoque l’assurance et conseille fortement à chaque propriétaire de vérifier avec son agent d’assurance les garanties responsabilités civiles et accidents à domicile.

Loin d’être un frein à l’assurance, « l’uberisation » semble être un déterminant de l’innovation dans ce domaine et une source de nouveaux revenus.

En rendant multiforme l’utilisation du bien l’uberisation rend plus complexe son assurance et cette complexité va certainement favoriser le rôle des intermédiaires.

Si la couverture d’une voiture de particulier utilisée de manière simple a atteint une maturité permettant une couverture standardisée, elle a aussi diminué le rôle de l’agent et favorisé des distributions directes. Il n’en sera sans doute pas de même avec cet éclatement de l’usage des biens.

 L’uberisation change les concepts mêmes d’utilisation des propriétés des individus (voitures, appartements…) Ces nouvelles utilisations réclament de nouvelles définitions, de nouvelles couvertures, de nouvelles assurances. Elles rendent aussi conscients des couvertures déjà présentes dans les contrats. Elles redonnent au detail des garanties une importance qu’elles avaient perdues.

 Il en va donc de l’uberisation comme de tous les grands progrès : ils déterminent la fin de certaines professions mais ils créent aussi des opportunités nouvelles. Ici ils favorisent les métiers qui gèrent la complexité créée par de nouvelles règles. Les agents et courtiers font partie de ces métiers à mon avis.

 Est ce à dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes des assureurs ? Non sans doute pas. A un moment où les assureurs doutent de leur avenir, où l’on parle de disparition de l’assurance auto sous les coups de butoir de la voiture assistée puis autonome, où les taux d’intérêts bas remettent en cause le modèle de l’assurance vie traditionnelle, ces éléments viennent toutefois nous rappeler que la technique de l’assurance est absolument nécessaire au développement et à l’activité des sociétés modernes.

 Mais ils illustrent aussi un curieux paradoxe. Les nouvelles technologies de l’information, vu comme beaucoup comme la mort du vendeur pourraient ne pas avoir des conséquences si simples en assurance. Si l’on peut facilement parier sur le transfert de certaines opérations de gestion vers le client, la complexité croissante des besoins induits par l’uberisation pourrait renforcer le rôle des réseaux traditionnels en assurance.

Une autre perspective sur le big data : les assureurs ont statistiquement raison, ils ont socialement tort

Je ne parlerai pas ici du Big Data comme on a l’habitude de le faire en ce moment. Je ne le ferai pas dans la mesure où les articles sur le sujet sont nombreux. J’aborderai plutôt le sujet à la lumière de la décision récente de la Cour de Justice de l’Union Européenne sur la discrimination en matière de « genre ».

Le coup de tonnerre de la décision de la CJUE

La décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 1er mars 2012 à propos de la « gender directive » a été vue par de nombreux assureurs comme une décision dangereuse pour l’avenir de la profession, l’association Belge des assureurs (pays d’origine de la question préjudicielle) y a vu « La recherche aveugle d’une égalité absolue », le CEA y voit « une mauvaise nouvelle pour les assurés », l’assureur RSA une « décision contraire au bon sens ». Ces réactions sont peut être légitimes, nous avons largement débattu de cette décision dans un article précédent[1], je n’y reviendrai pas.

Je voudrais plutôt voir dans cette décision la transcription en termes légaux d’un sentiment peut être répandu dans le public, dont la Cour se serait contentée de faire l’interprète et qui nous amènera sans doute à parler des données, de l’augmentation de leur volume disponible et de l’utilisation que nous pourrions en faire.

Les assureurs ont statistiquement raison

Les assureurs ont pour fonction d’organiser des mutualisations entre les risques. Ils avaient choisi depuis de nombreuses années de le faire sur la base de variables sociodémographiques, simples et facilement identifiables au rang desquelles, entre autres et pour l’assurance automobile, le sexe, mais aussi le lieu d’habitation ou l’ancienneté du permis[2].

Le choix de tarifer par sexe offre de nombreux avantages : simplicité de recueil de l’information, existence de corrélation entre risque et variable choisie. Mais il ne faut jamais oublier que ces critères ne sont que des indicateurs de l’exposition de l’assureur aux risques. Il ne s’agit pas de facteurs de causalité : on n’a pas moins d’accident parce qu’on est une femme. Le critère « femme » rend compte d’un comportement moyen en matière de conduite qui conduit à moins d’accident que les hommes. Aucun assureur ou constructeur automobile ne garantira que toute femme soit meilleur conductrice qu’un homme choisit au hasard. De la même manière tout jeune n’est pas, du seul fait de son âge, un plus mauvais conducteur qu’un sénior.

Le problème n’est pas si différent dans les assurances de personnes. Si l’âge reste un facteur qui rend évidemment bien compte de l’évolution moyenne de la sinistralité, il n’en est pas un prédicteur unique et absolu : une femme fumeuse invétérée sera plus à risque qu’un homme non fumeur du même âge, un jeune à « obésité morbide »[3] aura une sinistralité élevé.

Les assureurs ont politiquement tort

L’opinion attachée à la décision de la Cour de Justice[4] ne dit pas autre chose quand elle mentionne à l’attendu 61 que les assureurs font « tout au plus… une supposition générale » que la différence dans les modes de conduite automobile ou l’utilisation des services médicaux est liée au sexe ; ou encore à l’attendu 62 où l’avocat général mentionne de nombreux autres critères qui influencent la sinistralité (la profession, l’alimentation, la consommation de stimulants, la pratique du sport, les loisirs).

Le sexe, s’il est un indicateur efficace de la sinistralité, n’en reste pas moins un indicateur, et c’est bien là que le bât blesse. L’avocat général parle à l’attendu 61, d’une « différence (de sinistralité) qui n’apparaît que sur le plan statistique » sans que les assureurs prouvent que « leur inclination (des femmes ou des hommes) inégale à prendre des risques dans le trafic ou à recourir à des prestations médicales trouveraient leur origine dans leur sexe de manière déterminante. »

Dans leur défense du droit à utiliser des variables générales, les assureurs ne cessent d’invoquer des concepts complexes, peu accessibles au grand public. Dans un document publié en novembre 2012, le CRO Forum[5] oppose la « discrimination », de connotation négative, à la « différentiation ». Les arguments utilisés sont solides mais ils ne semblent pas réaliser qu’un des postulats « the underwriting process results in risks being allocated to an appropriate, pre-determined pool of standard risks » est peut être source des problèmes actuels. L’ensemble du document du CRO repose sur la nécessité technique de créer des groupes « standards », il fait peu de cas de l’acceptabilité par les consommateurs de ces groupes et de l’affectation de chaque individu à ces groupes.

Or ce regroupement par classe peut être ressenti comme non légitime par les intéressés et en contradiction avec les comportements qu’ils observent[6]. Dans ce cas, cette classification devient socialement inacceptable. Cette idée transparait dans l’attendu 63 qui note que les changements dans les rôles sociaux traditionnels entre les sexes ne permet plus de lier mécaniquement sexe et comportement : « aussi bien les femmes que les hommes exercent de nos jours des activités professionnelles de haut niveau qui sont parfois extrêmement stressantes[7] … Le type de sport pratiqué et l’intensité de cette pratique ne peuvent plus, eux non plus, être d’emblée rattachés à l’appartenance à l’un ou à l’autre sexe ». L’individualisation des attentes des clients et de leurs besoins, leur plus grande difficulté à s’insérer dans des cadres « institutionnels », ne font que renforcer ce refus de rattachement.

Ce que les assureurs avaient sans doute oublié dans les « belles années » de la tarification sélection « libre » c’est que la classification des individus repose sur une acceptation de cette classification.

Comment, par quelle magie crée t on cette acceptation ? C’est une question sans vraie réponse. ? Mais aujourd’hui les raisons de refuser les classifications « traditionnelles » sont nombreuses :

le doute concernant les « institutions »

Le refus des grandes fidélités institutionnelles et traditionnelles grandit. Les réseaux sociaux ont substitué aux groupes « verticaux » des groupes « horizontaux ». Même si on peut discuter la réalité des solidarités « horizontales » leur solidité (veut on faire beaucoup plus sur Facebook que mettre ses photos de vacances ?), il n’empêche que les catégorisations « institutionnelles » ont été « entamées » par l’émergence des nouvelles technologies. Et les assureurs ne seront pas les derniers à subir le refus des groupes « verticaux » qu’ils ont organisés. Pourquoi dois je me sentir solidaire du mauvais conducteur ? du fumeur invétéré ? du buveur ? du mauvais propriétaire ? On mesure mieux aujourd’hui la nécessité d’un appareil idéologique puissant pour faire accepter ce genre de solidarité.

l’individualisation des offres marketing

L’homme de marketing ne cesse de poursuivre son rêve de toujours : une segmentation pour laquelle « chaque client est un segment ». il est servi dans de nombreux domaines par la flexibilité accrue des outils de production et la publicité ne cesse de lui dire qu’il est unique et qu’il va donc avoir un produit unique. C’est un discours qu’il comprend et qui correspond au refus d’être mis dans une case à laquelle il n’adhère pas.

le refus des exclusions

La fin de l’acceptation des solidarités traditionnelles s’accompagne paradoxalement d’un refus de l’exclusion. Si l’assuré n’accepte plus aussi aisément de voir son sort lié à celui d’un individu moyen dans lequel il ne se reconnait pas, il refuse de la même façon l’exclusion de tout un chacun.

La grande perdante de cette bataille, c’est la moyenne. On l’a souvent dit dans ces colonnes, la philosophie de la variance a remplacé la philosophie de la moyenne[8]. Voire plus, la moyenne est devenue une chose quasi inacceptable.

Mais cette philosophie de la moyenne était fille de la pauvreté des données. Sans donnée, il faut faire avec des concepts simples, il faut favoriser la moyenne. L’utilisation de la variance, la prise en compte des variations autour de la moyenne supposent d’avoir à disposition des données nombreuses et précises.

Ainsi, à l’instant même où les assureurs voient leurs méthodes traditionnelles de classification mises en cause, la nature, les marchés, l’évolution leur offrent la possibilité de re construire leur modèle d’une manière plus adaptée à la donnes actuelle.

Le Big Data au secours des assureurs

Ainsi le client d’assurance ne ressent-il plus comme légitime d’être intégré dans un groupe dont il ne pense pas partager les comportements[9]. L’affaiblissement du lien affinitaire, qui permettait d’accepter une prime déterminée par de grandes catégories socio économiques, laisse la place à une volonté de tarification plus liée à « mon » comportement personnel.

il faut donc pour les assureurs abandonner progressivement les variables socio économiques pour recourir aux variables de comportement. Car la tarification au comportement échappe naturellement aux critiques précédentes. Je ne suis pas sur tarifé parce que je suis un homme, je le suis parce que je conduis la nuit. Il est difficile de refuser une telle classification.

La solution pour les assureurs c’est la tarification à base comportementale : primes liés aux nombres de kilomètres parcourus, tarif « fumeurs /non fumeurs », tarif liés à un mode de vie[10]. C’est bien ici qu’intervient le « Big Data ». Il met à disposition des assureurs une grande quantité de variables à même de prendre la place des variables socio économiques utilisées pendant tant d’années.

Ces variables sont devenus abondantes grâce aux évolutions de la technologie, qui rendent le suivi du kilométrage ou des habitudes de vie plus simples et permettent un recueil sans biais. Ainsi, le comportement, aujourd’hui souvent pris en compte dans les critères de sélection du risque, pourrait être progressivement « remonté » dans la tarification.

Grace au Big Data (ou à cause de lui ?), l’assureur a à disposition les moyens de soritr d’un monde où sa relation avec l’assuré se caractérise par le sentiment « affinitaire » institutionnel, et le calcul basé sur des variables socio économiques. Il peut créer un monde fondé sur une relation plus individualisée avec des calculs liés directement aux comportements.

Toutefois ce passage ne sera possible qu’à la condition que les clients acceptent que les données individuelles les concernant soient à disposition des assureurs. Pour l’obtenir les assureurs doivent dès aujourd’hui investir en pédagogie, rendre plus lisibles les mécanismes de leur industrie et inventer d’autres mécanismes de tarification et de transparence.

[1] article de R Durand dans la revue Risques :  »

[2] On notera toutefois avec intérêt que le critère de comportement le plus important en assurance automobile (la sinistralité) a été imposé aux assureurs par la loi : il s’agit du coefficient de réduction majoration… qui a été largement distordu ces dernières années par ces mêmes assureurs.

[3] Avec un indice de masse corporelle supérieur à 40.

[4] Case C 236/09

[5] « the right to underwrite » novembre 2012

[6] Sentiment renforcé par la « loi des petits nombres » mentionnée par Tversky et Kahneman (1972)

[7] en français dans le texte…

[8] Dans un autre domaine de l’assurance, l’évaluation de la solvabilité on assiste au meme phénomène qui crée lui aussi des incompréhensions profondes.

[9] On pourrait dire sous forme de boutade : Pourquoi payer une prime d’assurance supérieure alors quand on pense mieux conduire que sa femme ?

[10] voir les produits de Discovery en Afrique du Sud.

Journalistes et concurrence sont les moyens de la protection des assurés

Le code des assurances stipule que « le contrat précise les conditions d’affectation des bénéfices techniques et financiers » (affectation aux assurés). Cet article est complété par un arrêté stipulant que cette affectation doit attribuer au minimum 85% des résultats financiers à l’assuré.

Quand j’étais jeune assureur, il y a bien longtemps, et que je demandais les raisons de cette obligation minimale, la réponse reposait sur deux idées.

La première était que cette règle minimale protégeait l’assuré. Celui-ci ne pouvait, en conséquence, être la victime d’un assureur indélicat qui aurait versé l’ensemble des résultats financiers à l’actionnaire.

D’autre part la limite choisie permettait aussi une rémunération correcte de l’actionnaire.

Il semble bien que ces deux raisons, sans doute justifiées à l’époque, aient fait leur temps et qu’on pourrait désormais penser à supprimer cette règle…

Pour ce qui concerne la protection de l’assuré contre la tentation de l’assureur de s’approprier l’intégralité des produits financiers, elle a été largement garantie non pas tant par le code et ses articles mais par deux importants outils de protection du consommateur en matière de prix : la concurrence et la presse professionnelle.

Toujours négligée (voire méprisée) par nos gouvernants, la concurrence garantit le meilleur aux consommateurs. C’est bien ce qu’elle a fait au cours des dernières années en assurance. Si l’assurance vie est devenue le « placement favori des français » c’est sans doute grâce à un marché ouvert et concurrentiel qui a imposé des taux de rémunération tout à fait favorables.

Au point que le gouverneur de la banque de France, la secrétaire générale adjointe de la commission de controle et le Trésor ne s’inquiètent pas tant d’une possible sous attribution des produits financiers que d’une trop forte…

 » Mettre en question la sécurité du marché, en prenant des décisions imprudentes de revalorisation au détriment des réserves, diminuerait la capacité de résilience de certains acteurs en cas de crise », a prévenu Christian Noyer le 4 novembre 2014.

Quant à S Lemery, secrétaire générale adjointe de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), elle déclarait devant les sénateurs : « Il est impératif que les assureurs ajustent la revalorisation des contrats d’assurance vie pour préserver leur solvabilité», a indiqué Sandrine Lemery,.

Enfin Thomas Groh sous directeur des assurances à la direction du Tresor ne disait-il pas à ces mêmes sénateurs : « les assureurs doivent maîtriser l’évolution de la rémunération des fonds en euros, afin d’inciter les souscripteurs à choisir d’autres supports.»

Trois déclarations qui sont loin de peindre un monde d’assurés lésés au profit de l’actionnaire…

Ce que la réglementation cherche à obtenir, une juste rémunération de l’assuré, est désormais le fruit de la concurrence. C’est aussi la conséquence du travail de la presse professionnelle.

Car on peut saluer ici les journalistes dont les efforts pédagogiques pour expliquer toujours mieux les contrats, établir des classements ont joué un rôle important dans l’amélioration du sort des assurés. On peut citer à ce titre et sans que la liste soit exhaustive les Bengel, Goué, de Baudus, Weinberg, Pié, Lavaud, Carlat, Sollier, Vial, Naimi etc.

On peut ainsi dire que les journalistes et la concurrence ont fait autant pour l’assuré que la réglementation.

Et l’actionnaire, quelles sont pour lui les conséquences passées et futures de la règle des 85% ? Ce sujet mérite à lui seul un prochain article…

Des contrats en euros trop bon marché, frein à la croissance de l’assurance vie ?

Le début de l’année c’est l’heure des bilans et des chiffres. Après les espoirs, les craintes, les attentes chacun peut mesurer le chemin parcouru pendant l’année.

Et cette année le bilan présenté (conference FFSA du 29 janvier 2015) par l’industrie de l’assurance vie est flatteur :

Une collecte nette positive de € 21 milliard.

Une collecte positive chaque mois de l’année. Décembre 2013 est la dernière période négative de collecte pour les assureurs vie français.

En un mot l’assurance vie aurait retrouvé les chemins de la croissance après des années troublées entre 2009 et 2013.

On ne peut que se réjouir de ce « renversement de tendance », mais suffit-il à dire que le printemps est désormais là ? Pas vraiment si on analyse l’évolution des provisions mathématiques des assureurs vie.

Les provisions mathématiques des assureurs vie sont passées de € 1.433 milliard à 1.515 milliard entre le 31/12/2014 et le 31/12/2015.

Cette croissance de près de € 82 milliard est due pour € 21 milliard à la collecte nette. Ainsi ce sont près de € 61 milliard d’accroissement des provisions mathématiques qui relèvent des rendements du stock, soit 75% de l’accroissement total.

Les assureurs vie français ont donc vu croître leurs actifs plus du fait de l’évolution de la valeur du stock accumulé que du fait de la nouvelle richesse confiée par les clients. Et dans une proportion significative.

On objectera que rien n’est plus évident : l’assurance vie est une industrie arrivée à maturité, dont les belles années sont passées et dont le stock pèse de plus en plus lourd. On objectera aussi que dans une période de taux d’intérêt faible il est de l’intérêt de l’assureur de ne pas ou de peu souscrire des nouveaux contrats en euros. C’est le verre d’eau à moitié plein.

Oui mais c’est bien là que le bât blesse : s’il est sain de souscrire peu de produits en euros en période de taux faible, la part de la collecte nette dans l’augmentation des provisions montre que les assureurs n’ont toujours pas réussi à remplacer le contrat euro par une offre vraiment attractive.

Dans les faits, ce que l’on vend aujourd’hui est ce que l’on vendait il y a 20 ans déjà. Les nouveaux contrats eurocroissance (dont nous avons déjà dit tout le mal que nous en pensions dans notre blog du 18 octobre 2013) ne sont pas encore là pour prendre la relève (s’ils la prennent jamais).

Il reste donc à comprendre pourquoi les contrats en unités de compte, qui semblent pourtant le produit idéal dans les circonstances actuelles, ne se vendent pas mieux.

On ne peut plus trouver les causes dans les caractéristiques des produits qui sont très attractives tant en terme d’offre que de flexibilité.

Peut être la cause réside-t-elle dans le prix du contrat euro ? De manière tout à fait étonnante, ce produit qui offre plus de garanties que le contrat en unités de compte (capital minimum au terme, effet cliquet, mutualisation) coûte beaucoup moins cher aux assurés que les contrats en unités de compte. Le prix relatif des deux produits prêche donc en faveur du premier[1]. On peut dire que la garantie consentie aux clients est quasi gratuite, et encore plus alors que nous approchons de zones de taux négatifs sur les marchés obligataires. En comparaison l’assuré paye assez cher un contrat en unités de compte dépourvu de garanties. Et comme le marché a toujours raison cette différence de prix est certainement perçue par les clients.

Si l’on croit à ce raisonnement la reprise significative de la croissance de l’assurance vie passera sans doute par un renversement des prix relatifs, soit par augmentation des chargements sur le contrat euro, soit par diminution sur les contrats en unités de compte. Les assureurs ne pourront pas faire l’économie de ces décisions.

[1] On peut aussi renverser le raisonnement et évoquer un prix trop élevé du contrat en UC. Peu importe, c’est le prix relatif qui importe dans ce raisonnement.

Assureurs et PME : financer sans doute, protéger sûrement…

Le gouvernement appelle régulièrement les assureurs à la rescousse pour financer les PME. Récemment encore c’est Arnaud Montebourg qui voyait dans les 1.300 milliard de l’assurance vie[1] une source de richesse inutilisée pour financer nos entreprises (plutôt les grandes d’ailleurs, tout obsédé qu’il devait être, ce jour là, par l’affaire Alsthom).

Ce n’est que le dernier exemple de déclarations du même type, et quels que soient les efforts de l’industrie de l’assurance, les hommes politiques changent peu leur discours et reprennent la même antienne.

Car les initiatives des assureurs ne manquent pas dans ce domaine et la dernière d’entre elles, les fonds « Nova » récemment mis en place sont un vrai succès, tant par les fonds mobilisés, par la rapidité de la mise en œuvre que l’adhésion de la profession.

On trouvera un panorama très complet du financement des entreprises par les assureurs dans le 2ème livre blanc sur l’innovation dans l’assurance, qui y consacre un chapitre entier[2]. Ce chapitre contient un recensement complet des nombreuses initiatives prises par les assureurs dans ce domaine.

Mais il est possible que le gouvernement se trompe de débat en matière de relation entre assureurs et PME. Le premier objectif de l’assureur, vie ou non vie, ce n’est pas de financer l’économie, n’en déplaise aux uns et aux autres. Les institutions dont c’est le rôle principal s’appelle des banques, des fonds d’investissement, et quand elles ne le font pas, les assureurs ont bien du mal à le faire à leur place. Parce que les assurances n’ont pas été créées pour financer les entreprises. Si elles le font, et avec succès comme le montrent les exemples du livre blanc, c’est en complément, en annexe à leur activité principale. Et leur activité principale c’est de fournir un environnement sécurisé aux particuliers et aux entreprises.

L’activité industrielle ou de service dans le monde moderne demande de fournir au chef d’entreprise des garanties essentielles.

Couvrir les responsabilités professionnelles, les hommes, les machines, est tout aussi important que de fournir des capitaux. Quel chef d’entreprise français aurait le courage de s’aventurer aux États Unis sans couverture suffisante de responsabilité civile ? Et surtout avec un produit innovant ? Dans les faits l’impossibilité de trouver cette couverture tuera un projet aussi sûrement que l’absence de capitaux. Quel chef d’entreprise retient dans ses comptes les engagements en matière de couverture décès ou santé ? Quel chef d’entreprise prend il le risque d’envoyer des salariés dans le monde entier sans couverture assistance spécifique ? Rarement évoqués ces problèmes pèsent aussi lourd dans le quotidien du chef d’entreprise que la recherche de capitaux. Voire plus car ce sont des risques de tous les jours, alors que la recherche de moyens financiers n’est que ponctuelle (au moins l’espère t on). Rarement évoqués ces services sont rendus à tout instant aux entreprises françaises par les courtiers et assureurs, et ils doivent être encore améliorés.

Ainsi, le débat des rapports entre assureurs et PME ne doit pas être obscurci par celui du financement. Le gouvernement devrait éviter d’en faire un rapport mono dimensionnel. La protection de la PME par l’assureur est, elle aussi, une aide puissante au développement et à l’exportation.

[1] Le 21 mai 2014, lors d’une audition devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale

[2] Livre blanc sur l’innovation dans l’assurance septembre 2013 2 le financement des PME par les assureurs coordonné par Michel Dupuydauby.

L’eurocroissance, plus importante réforme de l’assurance vie depuis…

La grande offensive des assureurs pour la promotion du contrat euro croissance a commencé, ou a t elle, comme diraient les anglais ?

Au milieu du concert de louanges, tellement unanime qu’on pourrait le croire orchestré, la dernière déclaration du patron des patrons d’assurance étonne un peu.

Lors des rencontres parlementaires de l’epargne, Bernard Spitz a en effet déclaré que l’euro croissance serait la « plus importante réforme de l’assurance vie depuis des années ». Pour les plus anciens dans ce secteur, pas de quoi émouvoir qui que ce soit, toutes les réformes petites ou grandes de l’assurance vie ont été décrites à leur tour comme « la plus importante réforme », la « mère des réformes ».

Ce qui est plus étonnant, ce sont les références choisies par le président de la FFSA pour illustrer son propos, rapportées par l’Argus des assurances du 29 janvier : l’eurocroissance est « la plus importante réforme depuis le lancement des PERP, il y a 10 ans, des contrats DSK, il y a 15 ans, et même de l’apparition des unités de compte, il y a 30 ans » : l’eurocroissance serait aussi important pour l’assurance que le Perp le produit DSK ou le contrat en unités de compte ? de quoi laisser Perp…lexe plus d’un assureur.

D’abord parce cette déclaration mélange des inventions fiscalo-étatiques (Perp, DSK) avec une invention du marché libre (le contrat en unité de compte).

Ensuite parce que le produit le plus proche de l’état actuel des projets sur l’eurocroissance, l’eurodiversifié, n’est pas porté au rang des « grandes réformes de l’assurance vie des dernières années ».

Enfin et surtout parce que le Perp ou le DSK, comme l’eurodiversifié, ça ne nourrit pas son assureur.

Les chiffes sont là pour le dire. Le DSK, fièrement baptisé du nom du ministre Strauss Kahn, est l’histoire d’un échec. Malgré un « relifting » sous le nom de NSK (comprenez « nouveau DSK ») Les provisions mathématiques accumulées sur ce contrat sont de 6,8 milliard d’euros et elles décroissent régulièrement (elles se montaient à 7,9 milliard en 2008).

Quant au Perp, les chiffres sont tout aussi faibles, puisque les provisions sont de 8,8 milliard d’euros à fin 2012.

Que ces deux produits aient le mérite d’avoir été imaginés par des gouvernements de droite ou de gauche suffit sans doute pour en faire des références incontournables. Citer plutôt le produit Afer, matrice du contrat à versement libre qui constitue l’essentiel du marché aujourd’hui, porté par un homme, presque malgré les gouvernements de l’époque (G Athias), n’aurait pas eu le même impact : les grandes réformes du marché doivent être le fait de l’Etat…

A moins que ces références ne soient un message subliminal adressé au gouvernement. Le Président de la FFSA ne cache pas non plus ses doutes lorsqu’il déclare à la même tribune, sur ce même sujet :  » le diable est dans les détails ». Très bon communicant, il cherche peut être à dire avec subtilité au gouvernement, grâce à ses références, que le contrat eurocroissance court le risque de n’être qu’un contrat limité, une révolution dans les termes, un échec dans la pratique.

Le comparer à trois produits qui sont loin d’avoir le succès du contrat en euro (succès qui ne se dément pas) c’est avertir le gouvernement que la partie n’est pas gagnée et qu’il ne devra pas ménager sa peine s’il veut que les assureurs le vendent et que les assurés l’achètent.

Il faut plutôt en faire un nouveau contrat Madelin, exemple de succès fondé sur des principes évidents : fort avantage fiscal, simplicité de l’instruction fiscale initiale, adaptation aux demandes d’une cible clairement identifiée. Ce contrat a désormais 27,7 milliard de provisions au titre de la retraite des indépendants, soit trois fois plus que le Perp et quatre fois plus que le DSK, tout en s’adressant à une population bien plus limitée.

Puisqu’on nous promet que le gouvernement est engagé dans un grand tournant « libéral », il pourra le prouver en appliquant pour l’eurocroissance ce précepte : « enrichissez vous ! par l’épargne, et dans un cadre simple ».

Pourquoi l’eurocroissance ne marchera pas.

L’industrie de l’assurance vie est dans l’attente des mesures promises par le gouvernement. L’accouchement en paraît laborieux ce qui, pour les uns, est signe que le gouvernement hésite à remettre en cause le régime fiscal du « placement favori des français » ; pour les autres cela n’augure rien de bon, sinon que la « malfaisante fécondité qui préside à l’administration des finances publiques », pour reprendre les mots de Tocqueville, est à nouveau à l’oeuvre.

Parmi les mesures tant attendues ou redoutées figure la mise en place du produit « eurocroissance ». Là encore rien n’est fait et, par les temps qui courent, il ne faut pas trop croire ce que disent les uns et les autres sur le format final du produit.

Ce que nous en voyons pour le moment semble en faire un succédané du produit eurodiversifié dont le succès fut en son temps … à peu près nul.

L’idée du produit est intelligente… pour les assureurs. Elle consiste seulement à reporter la garantie des sommes investies à l’échéance en supprimant toute garantie en cours de contrat. Après avoir placé dans un véhicule non risqué les sommes à même de garantir à terme 100% des sommes investies, l’assureur devient libre de rechercher un rendement maximum sur la partie restante grâce à des placements plus risqués. On comprend que l’idée séduise les assureurs et particulièrement les structures financières dans les compagnies. En un mot c’est « beau comme l’antique » et cela permet de satisfaire la vision cartésienne du monde sans laquelle la France ne serait pas la France.

Mais quel est l’avantage pour les clients et pourquoi diable devraient ils se jeter dans cette aventure ?

L’avantage quasi unique, c’est le sur rendement par rapport aux contrats euros. Mais le sur rendement se prouve et au démarrage, faute d’historique, il faudra se contenter de promesses. Non que les promesses ne puissent séduire, mais leur force est loin de celle des performances continues des contrats euros depuis de nombreuses années.

Par ailleurs, l’eurocroissance souffre du même problème que le contrat euro et de manière tout a fait symétrique :

les taux faibles de rendement des obligations réduisent la rentabilité du contrat euro.

De la même manière, la faiblesse du taux des obligations limite la part « libre » (investissable en actif risqué) du contrat eurocroissance et en conséquence le sur-rendement que l’on en peut espérer. A titre d’exemple,des TME de 2,5% permettraient une part « libre » d’environ 20 % sur un contrat « eurocroissance » à 10 ans (en prenant l’hypothèse d’un taux technique à 80% du TME).

En faisant l’hypothèse (audacieuse) d’un sur rendement à long terme de 300 BP par rapport aux obligations sur cette part on obtient pour 100 euros placés 135 contre 130 dans un contrat en euros (en tenant compte d’une « poche » actions des contrats euros).

L’eurocroissance consiste donc à demander à l’assuré de renoncer à la protection instantanée des sommes investies pour un sur rendement non prouvé et aléatoire de 4% à 10 ans. Pas simple à vendre…

Lefèvre et Mme Berger ne s’y sont eux mêmes pas trompés puisqu’ils ont suggéré des mesures assez dures pour amener les plus gros assurés sur ce dispositif. Ils ont proposé que les sommes au delà de 500.000 euros soient soumises à la fiscalité de droit commun sauf à être investies dans ce nouveau dispositif. On ne pouvait trouver d’aveu plus flagrant de leurs doutes sur le succès spontané du produit.

Que faire alors si l’eurocroissance est, comme je le crois, promis à l’échec ? Comment orienter mieux l’épargne longue vers les produits risqués, problème qui reste entier en France ?

Peut être vaudrait il mieux utiliser des moyens compris des épargnants :

1 ne pas toucher aux caractéristiques des produits existants, ce qui aurait pour effet de rassurer sur la stabilité du système, objet de nombreux doutes aujourd’hui.

2 consentir aux contrats en unités de compte pour leur part risquée une fiscalité réellement incitative à la détention longue : absence de fiscalité au delà de 8 ans à la fois sur les intérêts (IR) et sur le capital (ISF).

Cette solution aurait l’avantage de ne pas perturber l’environnement de l’assurance. On me répondra qu’on n’a ni les moyens ni la volonté de baisser les impôts…mais avons nous les moyens de ne pas investir à long terme ?

Le projet de loi sur la consommation : faut renforcer la concurrence dans le secteur de l’assurance ?

Le projet de loi sur la consommation défendu par le ministre délégué a l’économie sociale et solidaire et à la consommation (un titre que je vous mets au défi d’expliquer à un étranger) M. Benoit Hamon provoque de nombreux débats chez les assureurs qu’ils appartiennent à l’économie sociale ou pas.

En un mot de quoi s’agit il ?

Les contrats d’assurance non vie des particuliers, pour faire simple,obéissent à deux règles spécifiques : il sont reconduits tacitement par les deux parties et leur résiliation tant pour l’assureur que pour l’assuré n’intervient qu’à l’échéance ou dans des cas particuliers.

Le projet de loi veut remettre en question cette résiliation à l’échéance et permettre, après la première année d’assurance, une résiliation à tout instant et sans motif pour l’assuré. L’assureur reste soumis aux obligations actuelles pour ce qui le concerne.

Il ne s’agit pas de remettre en cause la tacite reconduction, système particulièrement protecteur, qui garantit à l’assuré la continuité des couvertures sans qu’il s’en doive préoccuper.

Dans son état actuel, le projet dit que : « l’assuré a le droit de résilier les contrats et adhésions reconduits tacitement, sans frais ni pénalité, à partir du premier jour suivant la reconduction du contrat. » Le débat concerne donc la faculté de résiliation.

Les tenants du « statu quo »

Pour les tenants du système actuel, avant tout assureurs, le changement est porteur de risques pour la profession et de désavantages pour les assurés.

Pour les assureurs c’est la fin de l’annualité des contrats, avec des risques accrus de fraude. Les assureurs évoquent par exemple les résidences secondaires qui pourraient n’être assurées que pour quelques mois ou le locataire qui s’empressera de résilier sa police habitation une fois l’attestation d’assurance obtenue.

Pour les assurés, c’est l’augmentation immanquable des prix liée à des coûts d’administration accrus, du fait des changements plus fréquents d’assureurs et des frais subséquents d’établissement des polices. Les coûts d’acquisition de nouveaux clients augmenteraient aussi afin d’attirer et retenir des assurés de moins en moins fidèles.

Selon un courrier interne à la Fédération française des sociétés d’assurance, un point de résiliation annuel des clients représenterait un coût équivalent à 0,8% des primes perçues. En d’autres termes une augmentation de 10 point des résiliations se traduirait par 8% de frais supplémentaires et à terme autant d’augmentation des primes.

Les partisans de la mesure

Pour les partisans de cette mesure, le profit principal réside dans la baisse des primes que ne manquera pas de créer une plus forte concurrence. Par ailleurs, les limites à la résiliation sont souvent évoquées comme une source de conflit avec les assureurs qui serait alors éliminée. Il existe enfin des études qui montrent l’intérêt que porteraient les assurés à cette mesure : Selon une enquête réalisée par le CSA pour Amaguiz en juin 2008, 76 % des Internautes voient la liberté de résiliation comme une très bonne innovation.

Une autre étude réalisée par Ipsos pour le site lesfurets.com montre qu’un particulier gagnerait en moyenne 229 euros par an, s’il profitait de la meilleure offre du marché.

Une réalité moins tranchée

La vraie question consiste à savoir si cette nouvelle mesure va accroître de manière significative la concurrence, seule garante de l’intérêt du consommateur ?

Il est permis d’en douter si l’on considère la réalité actuelle, plus qu’à un accroissement on assistera sans doute à un maintien du niveau de concurrence.

La concurrence est déjà assez vive sur le marché. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les taux de sinistres à primes, indicateur des marges de l’industrie. Sous la pression de la concurrence ces taux sont particulièrement élevés et parfois supérieurs a 100%, signifiant que les assureurs paient plus qu’ils ne reçoivent. Et c’est aussi la concurrence qui a soutenu la croissance régulière des investissements publicitaires des assureurs au cours des dernières années malgré le maintien de l’échéance annuelle des contrats.

La date de résiliation à l’échéance fait l’objet d’une gestion active par les assureurs eux mêmes. Le nouvel assureur offre souvent aux assurés dont l’échéance de contrat est dans plusieurs mois la gestion de la résiliation pour leur compte. La résiliation à l’échéance retarde certes la date d’entrée en vigueur de la nouvelle police mais ne crée pas forcément une plus grande complexité pour l’assuré, au prix cependant d’une gestion lourde pour l’assureur.

On peut enfin signaler que la résiliation à tout instant est déjà mise en œuvre par un assureur. Celui ci stipule dans ces conditions générales que :

« Vous pouvez résilier votre contrat à tout moment… » Cette résiliation n’a pas de conséquence financière pour l’assuré : »Si vous ne résiliez pas à la date d’échéance de votre contrat, nous vous remboursons la part de prime déjà prélevée correspondante à la période non couverte. »

Par contre la résiliation en cours de première année donne lieu à des frais de dossier : « Des frais de dossier vous seront facturés pour toute résiliation intervenant au cours de la 1ère année pour tous les motifs non prévus par le Code des Assurances. »

En un mot le dispositif propose par B Hamon est déjà présent dans les polices de Amaguiz sans qu’il ait modifié fondamentalement les équilibres de marché.

Est ce à dire que cette loi est inutile ?

Sans doute pas, car elle intervient à un moment où les gains de productivité vont s’accélérer dans l’assurance et dans un contexte de concentration des compagnies. La saisie directe des données par les assurés, le suivi automatisé des sinistres, l’exploitation du big data sont autant d’outils qui diminuent les coûts unitaires de gestion et de distribution. Dans un environnement marqué par un nombre de plus en plus réduit d’opérateurs, de plus en plus gros, ces gains pourraient ne jamais être transmis aux assurés.

En maintenant la concurrence à un niveau élevé, cette loi peut garantir que cela ne soit pas le cas.