Les nouveaux enjeux de la nouvelle autorité s’inscrivent dans un cadre tout à fait nouveau lui aussi : solvabilité 2. Pour les assureurs c’est donc un double choc : nouvel environnement réglementaire, nouveau format de contrôle.
Un nouveau format de contrôle
Il est loin le temps où un ministre des finances pouvait déclarer que « la direction des assurances est une forme de subvention déguisée au secteur… »[1]
Il n’y a plus de direction des assurances, il n’y a même plus le mot assurances dans le nom de la nouvelle autorité (qui entre nous soit dit a un nom très curieux qui lui permettrait d’exercer son activité dans tous les domaines indifféremment au delà même de la finance, l’idée n’est sans doute pas idiote car elle évitera de changer de nom tous les trois ans comme nous en avions pris l’habitude).
Mais au delà de ces anecdotiques changements de nom, c’est un nouveau format de contrôle qui se met en place. Un contrôle qui relève selon moi du droit coutumier plus que du droit écrit ou si vous préférez du principle based plus que du rules based… et c’est une révolution importante pour les assureurs français et leur contrôleur qui vont devoir s’inscrire dans un mode de rapports assez différent. Quelques exemples :
- La norme de solvabilité n’est plus le résultat d’une multiplication (qui nous donnait tous l’impression d’être de grands actuaires) mais le fruit d’un calcul statistique, basé sur la probabilité de ruine à un an.
- La provision est la valeur pour laquelle on peut transférer ses obligations vis à vis des assurés. Et l’acheteur de ces engagements est une « entité de référence » notionnelle. On s’est toutefois arrêté à la limite du own crédit risk, ce qui est discutable.
- Et horresco referens vous pouvez construire votre propre modèle avec vos propres données et le faire approuver… le sacro saint principe républicain de l’égalité battu en brèche…
Chacun de ces éléments est évidemment un lieu de discussion et de questions :
- Qu’est ce que la probabilité de ruine et pourquoi la fixe-t-on à ce niveau ? et pourquoi diable avoir retenu la probabilité à un an ?
- Qu’est ce que la valeur de marché d’une provision dont les exemples de vente sont très rares (au moins en France, car en Angleterre la pratique du run off est assez systématique) ?
- Comment construire des modèles de phénomènes dont la compréhension reste faible voire inexistante ?
Le Français doté à la fois d’une culture mathématique moyenne très supérieure à ses voisins et d’une capacité à se poser des questions insolubles a excellé dans leur identification.
Il faut cependant reconnaître que la plupart des questions ont reçu une réponse d’assez bonne qualité, conséquence d’une élaboration démocratique des textes, assortie de nombreux garde fous (dont les QIS) et si tout n’est pas parfait, l’élaboration de normes communes à tous les régulateurs assurera la poursuite de la qualité de l’élaboration des solutions.
En fait la critique aujourd’hui porte sur quelques volets soit d’importance mineure, soit étrangers au débat de fonds :
- Mineures : les calibrages. Mineures parce qu’il suffit de fournir des données pour avoir un calibrage correspondant aux risques exercés : la directive le permet le CP 75 l’encourage. Toutefois n’étant pas dotés d’une tradition d’élaboration de chiffres de marché comme la Grande Bretagne, les assureurs français devraient songer à combler ce vide. Le titre exemple du CP 72 est là pour en témoigner.
- Etrangers au débat de la solvabilité : la tentation est grande de traiter l’impact de solvabilité 2 sur l’économie, surtout depuis la crise. On accuse solvabilité 2 d’être pro cyclique conduisant à alléger les capitaux en haut de cycle à les renforcer en bas de cycle. Ou encore de restreindre les capacités d’achat d’actifs risqués par les compagnies du fait d’un poids trop lourd du risque action. Ces critiques n’ont pas lieu d’être parce que le rôle de Solvabilité 2 ce n’est pas de favoriser l’économie, ou de jouer un rôle contra cyclique, c’est de protéger les assurés (art. 16 des motivations de la directive). Vous me permettrez de douter de l’impact de solvabilité 2 sur la capacité des assureurs à acheter des actions : c’est plutôt dans la nature des produits vendus (à option de rachat instantanée) ou dans les mauvaises performances des actions au cours des 20 dernières années qu’il faut chercher la source de la faible appétence des assureurs pour les actions. J’ai pour ma part connu une époque pas si ancienne où il fallait convoquer les assureurs à Bercy pour leur faire acheter du non coté… sans solvabilité 2 à l’horizon…
Tout ne va cependant pas pour le mieux dans le meilleur des mondes : il est un domaine qui demande à mon avis plus d’attention qu’il n’en reçoit : c’est celui du pilier 2. Les critiques dont il fait l’objet sont souvent centrées sur la lourdeur des contrôles à mettre en place. Rares sont les mises en cause de l’inspiration principale des mesures de contrôle, le COSO, largement diffusé par les grands cabinets, dont on a pu mesurer chez les banquiers, à l’occasion de la crise, le caractère totalement inefficace dans l’industrie financière. L’autorité de contrôle serait bien inspiré plutôt de favoriser des systèmes issus des pratiques séculaires des assureurs en matière de contrôle des risques et d’en faire profiter les banquiers.
[1] Phrase attribuée à Edouard Balladur