Quand le quantitative easing s’invite à Monte Carlo

Ceci est la reprise d'un article dans l'Agefi du 17/09/2014 toujours d'actualité. 

Comme tous les ans en septembre les réassureurs se sont réunis à Monte Carlo. Une nouvelle tendance occupe les esprits et sert de toile de fonds aux discussions, la croissance rapide des ILS (insurance linked Securities) et la baisse des prix qui en résulte.
Les ILS : quand les marchés financiers bousculent les réassureurs.
Ces ILS sont des produits financiers dont le rendement dépend d'un événement non financier (une catastrophe naturelle ou une dérive de mortalité par exemple). En l'absence d'événement les investisseurs obtiennent un rendement maximal. En cas d'événement les investisseurs perdent tout ou partie des intérêts, voire du capital. 
Ces ILS offrent, selon leurs vendeurs deux avantages importants :

leur rendement n'est pas corrélé avec celui des marchés financiers dans la mesure où les événements qui impactent le rendement sont des événements non financiers.

Ils offrent des taux d'intérêts supérieurs à ceux des marches financiers, particulièrement dans une période de rendements faibles. 

Ces concurrents directs des réassureurs sont parfois décrits par ces derniers comme des véhicules opportunistes, qui vendent à des investisseurs naïfs auxquels on a caché la réalité des risques qu'ils prennent. En un mot et selon le célèbre adage de Detoeuf : concurrent = margoulin…
Certains réassureurs attendent d'ailleurs l'instant où une catastrophe révélera l'ampleur de la "supercherie" aux investisseurs. Comme l'a dit la semaine dernière à ce sujet John Nelson, président des Lloyds, "Insurance, of course, can be a dangerous business for those who do not understand it."
M. Nelson y voit aussi l'introduction dans l'industrie de l'assurance d'un risque sérieux de contrepartie : "Some of the structures being used could undermine some of the qualities of the insurance model, which provides a secure and reliable risk transfer market for specialist risk – and indeed the reliable payment of claims,".
Il a sans doute raison mais, pour le moment, les ILS sont là et bien là et de l'avis de nombreux acteurs leur poids augmentera dans les années à venir. 
Je le pense aussi dans la mesure où la croissance des ILS trouve pour partie ses sources dans les politiques des banquiers centraux. L'argent qui se place dans les ILS, c'est cette monnaie surabondante créée par la Fed et la BCE. Une masse monétaire qui ne trouve plus assez de débouchés ou de rendement dans l'économie réelle ou dans le financement des états, et qui, après quelques tours, finit par aboutir dans l'assurance et la réassurance. Les ILS sont pour partie filles du quantitative easing et de ces conséquences : abondance de masse monétaire et faibles rendements financiers induits.
Ce nouveau phénomène change profondément le modèle de la réassurance.

Un nouveau business model pour la réassurance ? 
Le précédent modèle était rythmé par les catastrophes : les tarifs augmentaient suite à une catastrophe, permettant à de nouveaux acteurs de rassembler et d'engager des capitaux grâce aux marges restaurées, connaissaient une stabilisation puis une baisse jusqu'à la catastrophe suivante. 
Le nouveau cycle fait jouer un rôle majeurs aux rendements. Au cycle "de la catastrophe" semble s'être substitué un autre cycle fondé sur la "rentabilité des actifs" : faible taux de rendement sur le marché financier, en conséquence augmentation des marges techniques par les réassureurs, arrivée de nouveaux capitaux attirés à la fois par les marges en hausse et par la recherche de rentabilité. Ce cycle diminue l'importance des catastrophes dans la régulation des prix : un courtier s'étonnait récemment devant moi de la vitesse à laquelle les effets de Sandy (inondations de NY en octobre 2012) sur les marges s'étaient estompés et avaient été oubliés dès le renouvellement d'avril.
Ce cycle s'inverserait évidemment en cas de hausse des taux. Mais l'abondance entretenue par le QE rend peu probable la hausse des taux. 

Pour les réassureurs traditionnels la nouvelle équation n'est pas simple à gérer : les taux faibles imposent désormais une double charge à leurs comptes d'exploitation en diminuant leurs produits financiers d'une part et leurs marges du fait de la concurrence des ILS de l'autre.
Les assureurs, quant à eux, peuvent y gagner des prix moins élevés ainsi qu'une augmentation significative des capacités à leur disposition.

Pourquoi les (ré)assureurs veulent-ils rendre du capital à leurs actionnaires ?

coins-1726618_640Après Munich Re , c’est maintenant Swiss Re qui annonce sa volonté de rendre du cash aux actionnaires faute d’opportunités d’investissement. Et ce phénomène ne concerne pas que les réassureurs, les assureurs aussi, à l’image récente de Allianz , parlent de racheter des actions faute de savoir comment utiliser ce capital excédentaire.

Doit on en conclure que le marché de l’assurance est totalement saturé? Qu’il n’y a plus rien à vendre aux clients ? Que ceux ci sont si bien couverts que désormais rien ne peut leur arriver pour lequel ils ne soient protégés ?

Ceux là même qui remboursent leurs actionnaires n’en semblent pas convaincus et Swiss Re continue à étudier année après année le « protection gap » qui montre que la distance est grande entre les besoins et la couverture en matière d’assurance de personnes . En matière d’assurance de dommages, chaque catastrophe montre le faible rôle joué par les assureurs dans la facture finale .

Si les marchés sont loin d’être saturés, pourquoi ce défaitisme, cette apparente résignation, cette absence de volonté de croître ? Les causes en sont sans doute multiples et attardons nous sur quelques unes seulement sans prétendre à l’exhaustivité.

D’abord et sans doute il y a le recul du métier d’assureur. Ceux qui ont officié dans cette industrie depuis de nombreuses années ont pu constater le remplacement de la logique des assureurs par celle des « financiers », avec un goût marqué pour la performance de court terme.

Or rares sont les marchés d’assurance qui peuvent se satisfaire du court terme. Comment offrir des produits dont l’objet est la couverture de risques à long terme (santé, retraite, dependance) avec l’œil rivé sur les résultats trimestriels ? Aucune chance évidemment d’y parvenir. Un tel strabisme condamne donc à n’opérer que dans un champs très limité (assurance short tail). Et encore dans ce domaine, le court termisme conduit à réaliser en permanence des entrées sorties qui finissent par rendre les clients infidèles au risque que la situation ne devienne ingérable. Avec la progression du court-termisme dans les entreprises d’assurance, il est probable que seules les mutuelles auront bientôt encore la capacité d’assurer (si elles ne succombent pas aux sirènes des « financiers »).

La deuxième cause, et on ne le répètera jamais assez, c’est la folle politique des banquiers centraux et leur injection massive de liquidité. Celle ci a faussé la mesure du risque et des rendements. Cela ne serait rien si la logique financière qui a remplacé celle de l’assurance n’avaient retenu, comme dans la banque, des primes de risques irréalistes pour évaluer les investissement. Certains parlent ainsi encore de rentabilité de 10% au dessus de l’actif sans risque, illustrant leur incompréhension de l’univers des risques et de leur mesure. Ce faisant ils ont condamné des pans entiers de leur activité qui ne peuvent évidemment, ni à court ni à long terme, offrir bien plus que 2 à 3 % au dessus de l’actif sans risque.

Du fait de ces analyses, les assureurs ont renoncé à couvrir des marchés gigantesques. Ils sont entrés dans l’époque de la mort lente, mort qui en assurance se nomme run-off et qui est d’autant plus agréable qu’elle est adoucie par les profits que tout run-off génère.
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1 https://www.munichre.com/en/media-relations/publications/press-releases/2017/2017-03-15-press-release/index.html
2 http://www.swissre.com/media/news_releases/nr_20170316_agm.html
3 https://www.allianz.com/en/investor_relations/announcements/ir_announcements/170216a.html/
4 http://media.swissre.com/documents/Mortality%20protection%20Gap_%20Asia%20Pacific%20-%20FINAL.pdf
5 http://www.swissre.com/media/news_releases/The_USD_13_trillion_disaster_protection_gap.html
6 En effet ces remboursements d’action ont lieu sur fonds de résultats tout à fait acceptables.

Économie : Et si on écoutait un peu les assureurs ?

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Le 8 août 2016, dans un mouvement marqué par l’ignorance et le manque d’imagination qui président à la politique monétaire de tous les pays depuis près de 20 ans, la Banque d’Angleterre a procédé à un rachat massif d’obligation. Cette solution empoisonnée et éculée n’a pas produit les résultats escomptés et la Banque n’a pas réussi à acheter le montant de 1,7bn de livres qu’elle avait fixé. Parmi les causes de cet échec, le refus des fonds de pension de porter à la Banque leurs obligations.

L’attitude des fonds de pension est aisément compréhensible. Pourquoi vendre des obligations ancienne fournissant des flux de cash élevés pour obtenir des liquidités inutiles dans le cas de garanties à long terme ? Se dessaisir de ces flux nécessaires serait irresponsable et contraire à une gestion de bon père de famille. En un mot pourquoi obéir à des opportunités de court terme quand on a des obligations à long terme ?

Cet incident révèle cependant une réalité grave pour l’ensemble des économies occidentales, l’incapacité des banquiers en général et des banquiers centraux en particulier à saisir la nature même du monde moderne.

Depuis près de 15 ans les banquiers n’ont cessé de convaincre les hommes politiques du bien fondé des solutions de court terme qu’ils présentent comme des panacées. Au premier rang desquelles figurent la manipulation des taux et de la masse monétaire. Mais les langues se délient et on commence à dire tout haut ce que l’on a toujours su : la création monétaire n’est pas bonne pour l’économie et pour les citoyens. La création monétaire est une manipulation de la monnaie et au fond il n’y a pas beaucoup de différence entre les rois qui rognaient les pièces et Greenspan, Bernanke ou Draghi.

Qui plus est, ces méthodes, marquées au coin du court-termisme ne correspondent pas à la nature des économies modernes. C’est ce que le refus des fonds de pension d’apporter leurs obligations illustre bien. Pour eux comme pour les États modernes, les engagements de long terme l’emportent largement sur ceux de court terme. Ils doivent garantir les engagements de retraite, devoir auquel s’ajoute pour les États la garantie des prestations de santé.

Les économies occidentales qui ressemblaient plus à des banques jusqu’à la première moitié du vingtième siècle sont désormais semblables à des assureurs, chargées d’obligation de long terme vis à vis des citoyens. Et les techniques dont elles ont besoin sont plus celles de l’assureur que du banquier. La retraite tout autant que la santé sont des risques qui se gèrent à long terme.

Loin de poursuivre des politiques inspirées par les banquiers, centraux ou non, de régler de plus en plus l’assurance selon des principes bancaires[1], les hommes politiques feraient mieux d’écouter un peu plus les assureurs. Le signal qu’ont envoyé les fonds de pension britannique doit leur apprendre que les techniques de l’assurance doivent remplacer celles de la banque.

[1] dont chacun a pu mesurer l’efficacité au cours des 15 dernières années.

Que restera-t-il de Solvabilité 2 après la loi Sapin 2?

Solvabilité 2 a-t-il pris un sérieux coup de vieux le 10 juin pour les assureurs vie ?

C’est le jour où l’Assemblée Nationale a adopté en première lecture un amendement à la Loi dite Sapin 2 qui dit : « (le haut conseil pour la stabilité financière) peut, sur proposition du gouverneur de la Banque de France, président de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices pour les personnes mentionnées aux 1°, 3° et 5° du B du I de l’article L. 612‑2 ou une partie d’entre elles ; ».

Ainsi un organisme externe à l’entreprise peut décider la modulation des règles de dotation, reprise sur la réserve de Participation aux bénéfices. Et ce pouvoir est particulièrement large puisqu’il couvre aussi bien des cas individuels (une partie d’entre elles) que l’ensemble du marché.

Je n’insisterai pas ici sur l’intérêt relatif d’ajouter encore un acteur au contrôle des compagnies d’assurance[1], je parlerai donc plutôt des principes de solvabilité 2.

Car solvabilité 2, au delà des débats concernant les calculs de l’exigence de capital dite pilier 1, repose avant tout sur une philosophie de la responsabilité des dirigeants (et aussi de l’ensemble des personnels) des entreprises d’assurance.

Pour faire simple on peut dire que solvabilité 2 est basée sur les idées suivantes :

  • Les compagnies d’assurance sont administrées par des directeurs et des administrateurs « compétents et intègres » (fit and proper),
  • Qui connaissent les risques qu’ils font prendre à leur entreprise,
  • Tant à court terme (calcul du pilier1) qu’à plus long terme grâce à l’ORSA,
  • Et sont capables de prendre les decisions qui s’imposent pour remédier à ou pour éviter des conséquences négatives. Ce sont les « management actions » parfois modélisées dans les modèles internes.

On peut légitimement se demander ce qu’il restera de cette philosophie si l’amendement adopté en première lecture prospère ?

On aura alors ébranlé l’idée qu’un marché est un ensemble d’opérateurs aussi compétents que possible soumis à un contrôle individuel et dotés d’une éthique de responsabilité personnelle.

On y aura substitué une vision du monde où le « macro » serait autre chose que la rencontre des des intérêts privées. Et ce macro serait lu par des sages avec plus de clairvoyance que les opérateurs eux-mêmes au nom d’un intérêt général toujours mal defini[2].

On aura enfin favorisé une philosophie de management fondée sur « l’important n’est pas de ne pas faire d’erreurs, c’est de faire les mêmes que les autres. Si ça va mal, ça ira mal pour tout le monde et l’Etat prendra les mesures qui s’imposent. »

A l’heure où on commence à se demander si les banques centrales, sur la base de cette vision « macro », n’ont pas été et ne sont pas encore les responsables d’une crise qui n’en finit pas, ce serait catastrophique[3]. Et comme tous les économistes savent que la mauvaise monnaie chasse la bonne, il faut toujours craindre que les mauvaises idées ne chassent les bonnes…

[1] comme disait le General De Gaulle il ne faut pas craindre dans ce domaine le vide mais plutôt le trop plein…

[2] on citera à ce propos la célèbre phrase de Detoeuf : « L’intérêt général n’a été vraiment défini que par Pascal. C’est un cercle dont le centre est partout, la circonférence nulle part. »

[3] voir « the game central banks play and how it leads to crisis » de Anjum Hoda

Solvency 2 and the magic behind the 99,5% limit

Choosing a limit for the probability of ruin is not an obvious task and we have no ambition to change here the theoretical and practical choices made by the regulators for Solvency 2.

As you know some pretend that the figure appeared all of a sudden, with no real discussion within the industry. Anyway, the famous 99,5% over a one-year horizon is now heavily embedded in regulation in article 101 of the directive.

But how does the 99,5% reacts when applied to real world or how compatible is this « magic » with reality?

1 the 99,5 %, an economic perspective

The issues in our view don’t lie into the figure itself but what it reveals regarding the conception of the industry in regulators’ eyes: for regulators the disappearance of an insurance company should be as remote as possible, and only under highly stressed situations. This is no wonder, for the main mission of the regulator is to guarantee as safe an industry as possible. Regulators are here to prevent bankruptcy and to guarantee that companies will exist to pay when needed.

Adopting a 99.5% limit is, in the real world, trying to get rid of most potential scenarios of disappearance of companies.

But it is commonly accepted that renewal of companies and destruction of capital is a natural tendency of capitalism. Even if you are not an adept of Schumpeter and of his creative destruction, you may accept that capital renewal is playing a role in the efficiency of capitalism. As stated by Jacques Banville: « Everybody knows that a cent invested in year one of our era would be today a mass of gold covering the entire globe. The assumption is however stupid. What balances it is that a capital is bound to be destroyed several times during 19 centuries »[1].

This is why people with fortunes dating hundreds of years back are so rare. There is a constant renewal of capital through renewal of companies in capitalism. Anti-capitalists even see it as a major source of evils, especially in the social and human field. The critics are always about the human cost involved in this « arbitrage », not really in its association to capitalism.

This cycle of disappearance is a way of getting rid of non-performing assets, permitting a constant and good allocation of capital. This case was illustrated by the destruction of carriages in favour of cars manufacturers.

And we, insurers, are professionals of capital allocation. Oddly enough it is the part of the system that is in charge of the regulation of capital allocation, the financial system, that is prevented from efficient internal capital allocation. And the protection lies in this 99,5% limit.

I think this protection is incredibly costly and in fact impossible to sustain in the longer term.

For those who have any doubt, just take a view at the 2008 crisis and the cost involved to prevent bankruptcies of banks. Billions pumped into the economy with limited success, reduction in the number of banks, reduced competition and last but not least bankruptcies of Nation States.

2 In insurance the attempts to implement solvency 2 are revealing the problems related to the choice of this limit. Let’s explore some:

the regulator itself had to cheat and to invent exceptions so that the scheme fits into reality. The case for OECD sovereign bonds considered as « default risk free » assets is a stunning example! Under solvency 2 Greece bonds are low risk assets…

The quiet acceptance of this incredible idea that government bonds were risk free assets and required no capital charge is in contradiction to any ERM system. However it was a nice way to get rid of a potential problem: by stating that OECD sovereigns were risk free the governments were making it easier to finance their deficit.

The combination of 99,5% and one year horizon has important consequences on the capital charge of equities. The critics made by the industry are in fact the critics of the impossibility to risk significant amount of assets when your balance sheet is supposed to be « as safe as the Bank of England » (if by any chance you think Bank of England is safe). Once you have adopted 99,5% and one year, the capital charge is a mere consequence of calculations based on volatility.

The number of tricks invented to try and make compatible 99,5% and real economy are many and sometimes weird. Liquidity premiums, contra cyclic premiums, and now volatility balancers belong to these.

I suspect, without any proof, that it is the growing conscience of the impossibility to make compatible the 99,5% and the real world that the ORSA is taking such an importance in the current discussions; It is the place where reality meets regulations, as Kafka meet Alice in Wonderland.

[1] « Tout le monde sait qu’un sou placé à intérêts composés depuis l’an premier de notre ère formerait une masse d’or plus grosse que notre globe lui-même. Sur le papier, cette progression arithmétique n’est pas contestable. L’hypothèse est pourtant absurde. Ce qui la corrige, c’est qu’un capital est condamné à être détruit un grand nombre de fois dans le cours de dix-neuf siècles. » J Bainville.

Polices en déshérence : encore un effort citoyens pour être vertueux…

Nous avions déjà dans un article précédent dit tout le mal que nous pensions de la loi sur les polices en déshérence, dite loi Eckert qui fait obligation aux sociétés d’assurance et aux banques de chercher de manière maniaque les bénéficiaires des contrats et des comptes.
Cette loi dénature profondément le contrat d’assurance et ne répond pas au grand mystère des polices orphelines.
La loi considère implicitement que le contrat d’assurance est un compte en banque qui appartiendrait en propre à l’assuré. Or l’assurance est le fruit de la mutualité des clients et en cela elle diffère des comptes bancaires (je suis conscient que c’est un raccourci un peu rapide). C’est la mise en commun des sommes qui donne au contrat d’assurance ce caractère si particulier, qui lui permet aujourd’hui de donner aux assurés des rendements sans commune mesure avec les taux à court terme. Personne ne met en cause cette mutualisation qui a permis au contrat d’assurance « façon Gerard Athias » de collecter 1500 milliards. C’est en m’inspirant de cet aspect que j’avais mis en cause une solution au problème des polices orphelines qui niait la mutualité de la gestion assurantielle. Il eût mieux valu à mon avis que les polices en déshérence soient versées dans la mutualité et réparties après un laps de temps plus ou moins long entre les membres. On aurait ainsi évité que les porteurs de police diligents ne payent pour les autres. La représentation nationale a préféré favoriser une solution individualiste, tant sa défiance de l’Entreprise l’emporte.

Mais le dispositif législatif n’épuise pas le plus grand mystère des polices orphelines: Pourquoi diable ne sont elles pas réclamées ?
La question est d’autant plus intrigante que les polices abandonnées existent dans tous les pays du monde. La réponse apportée par le législateur français suggère que la non diligence des compagnies serait la cause principale et que l’organisation de cette diligence, la solution. C’est sans doute un peu court et la question de fonds reste entière: Quel curieux mécanisme conduit un assuré qui a mis une part de ses économies dans un contrat, à « oublier » d’en parler à ses héritiers ?
Pourquoi avoir omis de parler à ses bénéficiaires des sommes ainsi mises de côté pour eux dans un régime successoral très favorable ?
Quels étranges mobiles peuvent amener à oublier des sommes qu’un relevé annuel rappelle à votre attention ?
Pourquoi définir de manière vague les attributaires de ses largesses ?
Nous laisserons les amateurs de films et de romans policiers l’attribuer à la crainte de se faire trucider par des bénéficiaires pressés de toucher leur part d’héritage et prêts à « corriger » la table de mortalité. On a du mal à se représenter la France comme un champs de bataille permanent offrant le spectacle de bénéficiaires cupides massacrant des assurés sans défense.

Et si tout simplement le souscripteur avait choisi de ne pas laisser le produit de cette police à ses héritiers directs ou à qui que ce soit ? Profitant d’un véhicule particulièrement favorable en terme fiscaux dont les sommes restent récupérables en cas de coup de dur, il ne désirerait pas pour autant faire preuve d’altruisme. Il n’en parlerait pas aux heureux bénéficiaires, ou se contenterait d’inscrire une clause type sans rapport avec sa situation de famille, tant il se désintéresse de l’avenir de son contrat.

L’Etat toujours prêt à rendre le citoyen plus vertueux a décidé de sanctionner ce manque d’altruisme et de l’organiser à son ultime profit.

Solvabilité 2 : la guerre entre actionnaires et management a t elle commencé en Hollande ?

battle-144551_1280C’est parti : solvabilité 2 est en place depuis moins d’un trimestre et déjà un premier contentieux à l’horizon.

On aurait pu penser que le premier contentieux du genre opposât un régulateur à une compagnie sur des problèmes aussi complexe que la gouvernance interne ou les hypothèses de modélisation. Qu’on se rassure ces contentieux apparaîtront en leur temps.
Il s’agit pour le moment d’un contentieux entre un actionnaire et le management de la compagnie en l’occurrence entre Highfields et le management de Delta Lloyd aux Pays Bas.

Le management demande une augmentation de capital afin de renforcer une marge de solvabilité qu’il juge trop faible. La marge actuellement calculée par le management est de 130% et il entend la porter à 160%. Grâce à une augmentation de capital de 650 million.

Dans un long document Highfields explique en détail son refus de l’augmentation proposée :

• Il affirme d’abord que le taux de solvabilité n’a pas de sens au delà de 150% et il en apporte pour preuve les déclarations des compagnies néerlandaises Vivat, Aegon, ASR.
• Il affirme que la société est suffisamment capitalisée pour faire face à une éventuelle diminution du ultimate forward rate de 4,2% à 3,2% décidée par le régulateur. On remarquera que le modèle interne partiel est appelé à la rescousse pour justifier le point.
• Il dit enfin que le régulateur lui même est tout à fait satisfait du niveau de solvabilité du marché néerlandais.

On ne peut dire aujourd’hui si cette action prospérera mais elle soulève des problèmes jusque là occultés par les discussions de solvabilité 2, toute centrées sur le réglementaire et les calculs.
1. Elle annonce des guerres possibles entre actionnaires et management. Les questions de C. Icahn sur AIG et son caractère systémique ne procèdent pas d’une autre logique. Le nouveau cadre réglementaire a sans doute sous-estimé cet aspect du problème. On peut imaginer que les deux parties chercheront à mettre le régulateur dans leur camp ce qui n’est pas gagné, car on voit mal le régulateur entraîné dans ces conflits.
2. Cette guerre va se cristalliser dans le taux de solvabilité nécessaire, taux qui sera poussé naturellement à la hausse par le management et à la baisse par les actionnaires. Et une question lancinante de solvabilité 2 va remonter à la surface : quelle est la solvabilité « idéale »? pourquoi diable dépasser 100%? Highfields rappelle à ce propos que la marge à 100% correspond à un niveau élevé de sécurité.
3. Mais le niveau de solvabilité n’est que la conséquence, comme le rappelle aussi Highfields, du modèle interne dont il demande que la sortie soit accélérée.

Solvabilité 2 était vu jusqu’ici comme un exercice théorique, il se heurte à la réalité du monde des affaires et dans ce monde il fait apparaître les premières divergences entre actionnaires et management. Dans cet échange chacun a ses armes, le contrôle de l’argent pour l’actionnaire, le contrôle des modèles pour le management, sous l’oeil attentif et prudent du régulateur.

too big to fail or too big to succeed ?

colosseum-1235219_1280La crise de 2008 a mis à la mode le concept du « too big to fail » dans le monde financier. Les plus grosses banques et les plus gros assureurs ne pouvaient plus faire faillite puisque leur faillite entraînerait des pans entiers de l’économie. »Se non e vero e ben trovato », les grands banquiers y ont trouvé leur compte en excusant de la sorte des plans de sauvetage qui se sont avérés dangereux à long terme.

L’injection des sommes gigantesque dans l’économie après 2008 ne pouvait se faire sans justification intellectuelle et ce « too big to fail » tombait à point : en application de ce principe Il fallait par une émission monétaire sans cesse croissante, fournir de l’argent à bas prix aux banquiers faute de quoi ils disparaitraient, emportant avec eux l’économie de la planète. En sauvant les institutions financières, on sauvait toute l’économie. L’histoire a montré que seule une faible part de l’argent a trouvé la voie de l’économie dite « réelle » mais c’est une autre affaire.

Résumé par le génie américain de la formule, quatre mots ont suffi à décrire une situation complexe.

Et pourtant cette formule ronflante niait 200 ans d’histoire financière pendant lesquelles l’économie a régulièrement survécu à  l’effondrement des grands argentiers. Plus encore, on comprend mal pourquoi le commerce de l’argent n’obéirait pas aux principes schumpeterien de la destruction créatrice. Dans un monde en pleine transformation numérique, le « too big to fail » aura permis de protéger les plus gros opérateurs bancaires. Un monde qui a plus besoin d’obéir à la formule de Bill Gates « the World needs banking, not  bankers » qu’à celle des banquiers centraux.

Au nom de cette théorie on a inondé les marchés financiers de liquidité avec une conséquence néfaste : la perte de valeur des monnaies dont témoignent l’effondrement des taux d’intérêt.

Mais il n’est pas sans risque d’utiliser de manière un peu aléatoire, sous la pression du moment une formule aussi approximative et le contre-feu n’a pas tardé à se manifester d’abord avec les « institutions à caractère systémique ». Pour les états et pour les régulateurs, si certaines institutions sont « too big to fail » elles deviennent un risque pour le système économique tout entier… Elles mettent en cause ce système lui-même : en un mot elle deviennent des « systemic financial institutions ».

On ne peut pas impunément demander aux États des millions et les mettre en faillite sans qu’ils n’essaient, au moins en façade, de protéger leur investissement. On ne pouvait imaginer que les États ne laissassent les millions prêtés sans protection et sans demander aux actionnaires de prendre leur part dans cette protection.

Or cet engagement accru des actionnaires les amène à se poser des questions. Car plus on risque de perdre et plus fort et plus vite on pense. C’est le plus actif d’entre eux, Carl Icahn, qui jetant un oeil acéré sur AIG en a tiré deux conclusions :

La première est que si vous trouvez que la sur-capitalisation d’une institution est trop forte du fait de son caractère systémique, il suffit d’en diminuer la taille ! Logique imparable ! Si vous trouvez la charge « systémique » insupportable ne soyez plus « systémique » ! C’est quand même plus fort que de se plaindre sur le sujet ! Cette idée conduit à s’interroger sur la valeur ajoutée par la taille.

Pourquoi devrait on accepter dans le domaine financier des « mammouths » si le prix à payer est le risque de l’effondrement du système économique ? Quelles sont les profits à attendre de la taille et en quoi justifient ils de mettre en péril toute l’économie ? On ne peut pas dire que les réponses sur le sujet soient vraiment claires. L’argument le plus fort invoqué à l’appui de la taille est la diversification des risques qu’elle apporterait. Cet argument est contesté à la fois par ceux qui voient dans une grande diversité la source d’un contrôle moins précis et par ceux qui étudient les crises de corrélation, instant ou des risques apparemment non corrélés se produisent de manière simultanés : nous avons écrit avec Stéphane Loisel sur ce sujet.

Nous voilà donc condamnées à maintenir en vie des monstres dont les avantages sont mal démontrés, au prix du risque de destruction de notre système économique. Plus courageux que nous, nos ancêtres du début du 20ème siècle n’avaient pas hésité aux États unis à caser des monopoles dont ils craignaient les effets néfastes.

En deuxième lieu, Carl Icahn suggère que AIG n’est pas seulement « too big to fail » mais aussi « too big to succeed ». C’est encore une fois une formule frappante et elle invite à la réflexion. Non seulement la taille ne limiterait en rien les risques mais en plus elle interdirait une gestion correcte. Ces monstres financiers sont-ils des outils gérant mal les opérations et le capital qui leur sont confié ? On ne peut pas exclure cette hypothèse et l’actualité récente regorge d’exemples : BNP et ses aventures iraniennes, HSBC et ses démêlées mexicaines, UBS et le subprime, Credit Suisse et la FIFA, Zurich et son difficile suivi des risques américains, Barclays et le libor, Lloyds bank et le PPI, Lehman, AIG, Socgen et Kerviel, AXA et les variable Annuities aux États Unis, la liste est longue. Le contrôle d’organisations importantes n’est sans doute pas un art simple et l’Eglise, la seule grande organisation multinationale qui a traversé les siècles, en sait quelque chose.

Ainsi par un lent cheminement le « too big to fail » a conduit au systémique et le systémique pousse les actionnaires à s’interroger sur l’intérêt des grosses organisations en matière financière et à répondre à la question du « Too big to succeed ». Peut être ce chemin les amènera à la conclusion de Nicolas Taleb : Nothing should ever become too big to fail!

Le modèle interne, une « ardente obligation » de solvabilité 2.

laptop-1104066_1920Dans un papier récent[1], le Reinsurance Advisory Board[2] livre la vision des réassureurs sur l’intérêt des modèles internes et son inquiétude en face d’une attitude parfois très critique des régulateurs à leur endroit. Les réassureurs craignent même que les progrès accomplis grâce à l’existence des modèles internes ne soient remis en cause ainsi pour eux :  » Mandating the use of standard formulas or imposing supervisory overlays would threaten the progress that has been made in risk management in the insurance sector »

Depuis le début des débats sur solvabilité 2 la question des modèles internes révèle les doutes et les ambiguïtés des régulateurs. Plus encore le modèle interne pose la question de la régulation de l’industrie de l’assurance et des formes qu’elle doit prendre.

Car promouvoir et adopter le modèle interne, c’est promouvoir un système fondé sur l’auto-regulation. L’alternative c’est le « modèle standard », un ensemble de formules imposées tolérant quelques variations liées à l’entreprise, plus conforme à une régulation de type « top down ». Le modèle interne est quant à lui d’essence libérale. Il repose sur l’idée que l’entreprise seule est responsable de sa solvabilité. Que ses équipes en connaissent mieux que quiconque les tenants et les aboutissants. Que les contre-pouvoirs s’y exercent librement. Que pour rendre compte de la complexité de la réalité de l’entreprise d’assurance le modèle interne ne saurait être enserré dans des règles strictes. Et que le régulateur n’en est que le « lecteur attentif ».

Les intentions fondatrices de solvabilité 2 voient bien dans le modèle interne une fin et dans le modèle standard une solution transitoire. Dans ce monde, la normalité est le modèle interne et le recours à un modèle standard une anomalie à devoir justifier.

Et c’est bien naturel : le modèle standard est fondé sur des moyennes, dont il serait étonnant qu’elles s’adaptent aux situations particulières des sociétés. Loin d’être une norme obligatoire le modèle standard ne devait être qu’une aide, une orientation donnée aux entreprises en attendant qu’elles ne développent leur propre modèle.

Hélas, ces idées légitimes ont cédé face à la crainte de la Liberté, crainte qui, comme chacun sait, est la plus commune des malédictions dont ait eu à souffrir l’humanité.

Certaines autorités de contrôle n’ont pas caché dès l’origine leur opposition aux modèles internes et ont favorisé une approche « standard ». Elles ont souvent trouvé des appuis auprès de companies qui voyaient dans le « one size fits all » une garantie de moindre concurrence.

Même les autorités les plus favorables ont voulu soumettre à approbation préalable le modèle interne. Or les obstacles pratiques à cette approbation sont nombreux: absence d’effectifs suffisants chez le régulateur, absence de certaines compétences très pointues, absence de points de référence, nécessité de connaître les pratiques mondiales pour les groupes internationaux[3][4].

Cette complexité créée par le régulateur lui même a découragé les marchés les plus enclins à recourir au modèle interne comme la Grande Bretagne[5].

Les réassureurs ont raison, ne pas favoriser l’utilisation des modèles internes, les enserrer dans un réseau de normes est un danger. On ne fera par là qu’affaiblir l’objet central de la régulation : la gestion de l’entreprise par les risques (ERM). On risquera alors de favoriser de mauvaises habitudes : arbitrage sur base des règles et formules les moins conformes à la réalité, unification des conditions de marché et diminution corrélative de la concurrence, prime donnée aux plus gros.

Et quand on se réveillera on aura une industrie concentrée, remplie de faux réflexes et ne rendant plus aux clients les services qu’ils attendent d’elle.

[1]internal models a reinsurance perspective.

[2] qui regroupe les principaux reassureurs mondiaux

[3] qui par un curieux caprice du sort sont évidemment les plus preneurs de modèles internes.

[4] on raconte que les modèles de grands groupes ont jusqu’à 10.000 pages de documentation…

[5] on dit que sur les 120 compagnies qui ont demandé une approbation seules 19 sont restées en course à la fin.

L’ajout de crème dans l’assurance vaut il un euro ?

pot-996977_1280Au restaurant à midi j’ai remarqué que les moules frites au vin et à la crème coûtaient 1 euro de plus que les moules frites au vin sans crème. Cette différence m’a plongé dans des océans de doutes : comment être sûr qu’il y a bien pour un euro de crème dans la version crémeuse ? Et sur cet euro de différence, quel est le taux de marge ? Je me suis rendu compte que j’étais bien seul face à ce problème : il n’existe pas une seule obligation légale de décomposition du prix de la moule frite dans ses éléments techniques de base, avec ou sans crème, pour éclairer mes doutes !

Çe que l’on ne fait pas pour la moule frite on le fait pour l’assurance et les régulateurs se posent régulièrement le problème du prix de vente en rapport du prix de revient des garanties. Et comme il n’y a pas de moules, de vin, de patates et d’échalotes dans l’assurance, la question prend une forme un peu différente : quel est le rapport entre les éléments de base de risque du produit et son prix de vente ? Cette question, sous la forme du « Price optimisation », occupe certains régulateurs américains :

Pour tarifer l’assureur utilise traditionnellement des variables liées directement ou indirectement au risque : âge, ancienneté du permis, historique d’accident… ou au moins acceptés comme liés au risque. Mais que se passe-t-il quand l’assureur se met en tête d’inclure une variable comportementale comme « l’élasticité du client à une hausse des prix » ? Dans ce cas la prime pourrait être augmentée en tenant compte de cette plus forte tolérance au prix de l’assuré (hors de toute base « technique »).

En un mot les débats récents sur le « Price optimisation » portent sur la question : peut on tenir compte des comportements d’achat des consommateurs pour déterminer le prix qu’ils doivent payer au delà des seules caractéristiques techniques ?

La réponse est clairement oui dans les autres domaines d’activités : les lignes aériennes, les supermarchés, les compagnies de chemin de fer et même les… moule frites prennent en compte des « modèles » de comportement d’achat pour optimiser les grilles de prix.

L’assurance devrait, selon ces régulateurs[1], ne déterminer ses prix que sur la base du coût de revient. En s’écartant de la tarification « technique », le prix n’est plus le reflet du seul risque et pourrait même conduire, selon eux, à des discriminations.

Il est étonnant au début du 21ème siècle de devoir rappeler que les prix sont déterminés par la confrontation de deux volontés, celle de vendre et celle d’acheter.[2] et dans cette confrontation le prix de revient ne joue guère que le rôle de « plancher » pour le vendeur[3].

Il importe peu au client de savoir les voies qu’a choisies l’assureur pour établir son prix, pas plus que n’a d’importance la part de l’intermédiaire dans cette affaire. Comme pour les moules frites, c’est l’augmentation de la satisfaction du client par l’ajout de crème qui doit guider plus que la justification de l’euro supplémentaire…

[1] Encore font-ils l’impasse sur le problème pratique de l’affectation des coûts aux polices ou des effets de mutualisation.

[2] Il faut bien parler ici de volonté de vendre et de volonté d’acheter, L’économie n’est que l’étude de l’action humaine comme le dit justement Von Mises.

[3] Et encore…