La réassurance vie a crû rapidement au cours des dernières années grâce à sa spécialisation vers les risques biométriques. Elle a lourdement investi dans la recherche, les modèles et les programmes dans ce domaine, devenant, entre autres par la maîtrise de la souscription médicale, un acteur incontournable des assurances vie décès, invalidité, maladies redoutées etc. Cette spécialité est à la fois sa force et son talon d’Achille. Sa force car elle assure un flux d’activité constant, une activité prévisible, des engagements à long terme. Elle permet aussi une présence au cœur de l’activité des cédantes en intervenant dans les opérations de souscription et de tarification.
Toutefois cette réassurance se heurte à une limite naturelle, fruit de sa concentration sur un risque qui reste souvent aux yeux des cédantes un « petit risque », pesant peu dans le paysage global de l’assurance. Car l’assurance vie c’est d’abord et avant tout l’assurance en cas de vie, l’assurance épargne comme disent certains. Et au sein de cette assurance épargne, c’est l’assurance en euros qui garde la part du lion, même si elle recule parfois, au gré des mouvements de la Bourse, au profit des assurances en unités de comptes.
L’assurance en euros (ou fixed) reste donc l’objet de l’attention principale des assureurs et de leurs équipes dirigeantes. Au fil du temps cette forme d’assurance est devenue l’objet de nombreuses craintes (inexistantes à l’origine) depuis celle des taux bas (ou de leur remonté trop rapide), le spectre des vagues de rachats massifs, le découplage actif passif etc.
Certains réassureurs y voit une opportunité de redéfinir le modèle de la réassurance vie en s’intéressant avant tout à la réassurance des contrats « en euros » (fixed annuities).
Si certains réassureurs avaient déjà exploré cette voie, on a assisté à l’éclosion d’une nouvelle génération au cours des dernières années, en particulier aux États Unis, mais aussi en Europe. Ces nouveaux réassureurs sont soutenus par des grands fonds d’investissement et leur offre se concentre sur les portefeuilles « euros » (fixed). Ils promettent aux assureurs de reprendre à leur charge les garanties de taux promises aux clients. Une seule condition à cela : que la gestion des actifs leur soit transférée (même si les actifs peuvent rester « déposés » dans les bilans des assureurs). En un mot ils attaquent le marché là où le besoin existe et de manière gigantesque, et en conséquence, ces réassureurs sont en train d’accumuler des milliards dans leurs bilans.
On a du mal à apprécier aujourd’hui la réalité de la « formule » qui sous-tend cette promesse. Les plus sceptiques y voient des arbitrages réglementaires permettant d’investir les actifs de manière plus risquée en choisissant de s’établir dans des pays aux régulateurs plus « compréhensifs ». D’autres y reconnaissent la conséquence de l’abondance monétaire créée par les banques centrales qui donne à certains fonds des capacités quasi illimitées de couverture des risques pris. Le phénomène ne manque cependant pas de provoquer des interrogations chez les régulateurs états-uniens qui ne mesurent pas encore toutes les conséquences du transfert des actifs des assurés vers des cieux plus cléments aux assureurs (cf débats récents de la NAIC sur le sujet). Ils s’interrogent aussi sur le contrôle accru de ces actifs par des acteurs non issus du monde de l’assurance. Leurs questions sont relayées par certaines compagnies d’assurance qui commencent à y voir une concurrence déloyale (cf prise de position récente de Northwestern Mutual).
Il n’en reste pas moins que ces réassureurs répondent bien à un besoin du marché : la nécessité de gérer le passé des contrats euros ou même de continuer à proposer un produit qui reste largement le « placement préféré des français (et des autres) ». Ces réassureurs arrivent à mobiliser les capitaux gigantesques créés par le quantitative easing pour résoudre le hiatus entre des Etats-majors de compagnies réticents à garder (certains grands groupes européens ont déjà commencé à céder leurs portefeuilles) ou à vendre des contrats euros, et des clients qui en demandent toujours.
Ces réassureurs méritent donc qu’on leur prête une attention particulière, quel que soit le jugement que l’on porte sur leur « modèle d’affaire ». Leur positionnement au centre d’un problème stratégique pour l’assurance vie pourrait en faire des pièces incontournables de ce marché.