La crise de 2008 a mis à la mode le concept du « too big to fail » dans le monde financier. Les plus grosses banques et les plus gros assureurs ne pouvaient plus faire faillite puisque leur faillite entraînerait des pans entiers de l’économie. »Se non e vero e ben trovato », les grands banquiers y ont trouvé leur compte en excusant de la sorte des plans de sauvetage qui se sont avérés dangereux à long terme.
L’injection des sommes gigantesque dans l’économie après 2008 ne pouvait se faire sans justification intellectuelle et ce « too big to fail » tombait à point : en application de ce principe Il fallait par une émission monétaire sans cesse croissante, fournir de l’argent à bas prix aux banquiers faute de quoi ils disparaitraient, emportant avec eux l’économie de la planète. En sauvant les institutions financières, on sauvait toute l’économie. L’histoire a montré que seule une faible part de l’argent a trouvé la voie de l’économie dite « réelle » mais c’est une autre affaire.
Résumé par le génie américain de la formule, quatre mots ont suffi à décrire une situation complexe.
Et pourtant cette formule ronflante niait 200 ans d’histoire financière pendant lesquelles l’économie a régulièrement survécu à l’effondrement des grands argentiers. Plus encore, on comprend mal pourquoi le commerce de l’argent n’obéirait pas aux principes schumpeterien de la destruction créatrice. Dans un monde en pleine transformation numérique, le « too big to fail » aura permis de protéger les plus gros opérateurs bancaires. Un monde qui a plus besoin d’obéir à la formule de Bill Gates « the World needs banking, not bankers » qu’à celle des banquiers centraux.
Au nom de cette théorie on a inondé les marchés financiers de liquidité avec une conséquence néfaste : la perte de valeur des monnaies dont témoignent l’effondrement des taux d’intérêt.
Mais il n’est pas sans risque d’utiliser de manière un peu aléatoire, sous la pression du moment une formule aussi approximative et le contre-feu n’a pas tardé à se manifester d’abord avec les « institutions à caractère systémique ». Pour les états et pour les régulateurs, si certaines institutions sont « too big to fail » elles deviennent un risque pour le système économique tout entier… Elles mettent en cause ce système lui-même : en un mot elle deviennent des « systemic financial institutions ».
On ne peut pas impunément demander aux États des millions et les mettre en faillite sans qu’ils n’essaient, au moins en façade, de protéger leur investissement. On ne pouvait imaginer que les États ne laissassent les millions prêtés sans protection et sans demander aux actionnaires de prendre leur part dans cette protection.
Or cet engagement accru des actionnaires les amène à se poser des questions. Car plus on risque de perdre et plus fort et plus vite on pense. C’est le plus actif d’entre eux, Carl Icahn, qui jetant un oeil acéré sur AIG en a tiré deux conclusions :
La première est que si vous trouvez que la sur-capitalisation d’une institution est trop forte du fait de son caractère systémique, il suffit d’en diminuer la taille ! Logique imparable ! Si vous trouvez la charge « systémique » insupportable ne soyez plus « systémique » ! C’est quand même plus fort que de se plaindre sur le sujet ! Cette idée conduit à s’interroger sur la valeur ajoutée par la taille.
Pourquoi devrait on accepter dans le domaine financier des « mammouths » si le prix à payer est le risque de l’effondrement du système économique ? Quelles sont les profits à attendre de la taille et en quoi justifient ils de mettre en péril toute l’économie ? On ne peut pas dire que les réponses sur le sujet soient vraiment claires. L’argument le plus fort invoqué à l’appui de la taille est la diversification des risques qu’elle apporterait. Cet argument est contesté à la fois par ceux qui voient dans une grande diversité la source d’un contrôle moins précis et par ceux qui étudient les crises de corrélation, instant ou des risques apparemment non corrélés se produisent de manière simultanés : nous avons écrit avec Stéphane Loisel sur ce sujet.
Nous voilà donc condamnées à maintenir en vie des monstres dont les avantages sont mal démontrés, au prix du risque de destruction de notre système économique. Plus courageux que nous, nos ancêtres du début du 20ème siècle n’avaient pas hésité aux États unis à caser des monopoles dont ils craignaient les effets néfastes.
En deuxième lieu, Carl Icahn suggère que AIG n’est pas seulement « too big to fail » mais aussi « too big to succeed ». C’est encore une fois une formule frappante et elle invite à la réflexion. Non seulement la taille ne limiterait en rien les risques mais en plus elle interdirait une gestion correcte. Ces monstres financiers sont-ils des outils gérant mal les opérations et le capital qui leur sont confié ? On ne peut pas exclure cette hypothèse et l’actualité récente regorge d’exemples : BNP et ses aventures iraniennes, HSBC et ses démêlées mexicaines, UBS et le subprime, Credit Suisse et la FIFA, Zurich et son difficile suivi des risques américains, Barclays et le libor, Lloyds bank et le PPI, Lehman, AIG, Socgen et Kerviel, AXA et les variable Annuities aux États Unis, la liste est longue. Le contrôle d’organisations importantes n’est sans doute pas un art simple et l’Eglise, la seule grande organisation multinationale qui a traversé les siècles, en sait quelque chose.
Ainsi par un lent cheminement le « too big to fail » a conduit au systémique et le systémique pousse les actionnaires à s’interroger sur l’intérêt des grosses organisations en matière financière et à répondre à la question du « Too big to succeed ». Peut être ce chemin les amènera à la conclusion de Nicolas Taleb : Nothing should ever become too big to fail!