L’assurance de personnes est-elle potentiellement dangereuse ou tout simplement incomprise par les investisseurs ?

Conférence CA Cheuvreux Sept. 2010

Les très faibles multiplicateurs utilisés par les marché pour évaluer les sociétés d’assurance vie (e.g. 70% de l’EV) sont ils la conséquence de la peur des marchés ou seulement de leur incompréhension de l’activité ?

Je ne suis pas sûr qu’il faille positionner le problème exactement en terme de dangers : par construction, l’assurance vie ou non vie a pour objet de prendre les risques dont les autres ne veulent pas et les dangers qui y sont attachés.

Par ailleurs, comme je pense pour ma part que le marché ne se trompe pas si on le laisse faire (idée qui n’est évidemment plus du tout à la mode), je préfère donc partir de l’idée que les investisseurs ont vu ou senti quelque chose qui les pousse à une attitude prudente vis à vis du secteur. Pourtant à première vue un secteur qui affiche de tels taux de croissance devrait bénéficier d’un œil très favorable de la part des investisseurs. Sauf s’ils pensent que la croissance fantastique des dernières années en assurance vie est la conséquence d’une sous-tarification chronique. C’est cette hypothèse que je voudrais explorer avec vous.

J’ai gardé de mon passé d’homme de marketing et de mes convictions libérales l’idée que la chose la plus difficile pour une entreprise c’est de « récupérer » de l’argent dans la poche des clients.

Trois raisons permettent une croissance à plusieurs chiffres d’une industrie :

La nouveauté du besoin, la qualité du produit, et… un prix cassé.

Le besoin d’épargne est il un besoin nouveau dont l’émergence aurait changé la donne ? A l’évidence non et surement pas au cours des dix dernières années. Et la part des personnes âgées dans les portefeuille bat sans doute en brèche la théorie du produit de préparation de la retraite…la croissance du besoin, difficile à mesurer, a sans doute joué un rôle mais je pense qu’il est mineur.

L’innovation produit au cours de la même période ne semble pas non plus devoir être une explication significative (le produit euro n’a pas vraiment changé depuis que G Athias lui a donné son format de versement libre…). Pire encore l’environnement fiscal n’a cessé de se dégrader au cours des années (CSG, CRDS, taxation en cas de succession à 20%…)

Il nous resterait donc l’idée que la formidable croissance est la conséquence de prix cassés ou pour être plus précis du fait que le client obtient beaucoup en payant peu…

Il y a des chiffres (chargements moyens, taux servis/taux de placement …) qui suggèreraient que le système de prix dans l’assurance vie était avant la crise (et est encore) marqué par une sous-tarification chronique (j’ai lu la semaine dernière dans l’Agefi cette phrase si troublante : « sans parler des frais sur versements pour ceux qui les pratiquent encore »). C’est cette sous-tarification qui expliquerait la croissance extraordinaire du marché et pas la qualité du produit ou la nouveauté du besoin… en un mot la vraie qualité du produit c’est de fournir pour quasiment rien :

  • un taux de rémunération très supérieur à l’inflation,
  • une possibilité de rachat instantanée et sans limite,
  • une garantie absolue du capital…

En assurance vie, comme vous le savez, le prix a deux composantes : le chargement d’entrée, le chargement sur « en cours ». Ce dernier s’exprimant souvent par différence entre taux servi et taux de rendement des actifs, que vous désignez sous le nom de spread, qui signifie aussi l’étalement ou la pate à tartiner en américain, ce qui correspond pas mal à ce que font les assureurs en étalant la pate des revenus sur plusieurs exercices… On peut donc trouver la trace de cette sous-tarification dans des chargements d’entrée en chute libre (officiellement ou par négociation) et des maintiens de taux de rémunération sans relation avec l’évolution des possibilités de placement (ce qui a souvent donné lieu à des interrogations des analystes : comment est ce possible ? « Do they know something we do not know or don’t they know what everybody knows ? »)

Les assureurs vie ne sont cependant pas que des « neu-neus » et ils ont trouvé une parade qu’ils imaginaient sure pour lutter contre cette érosion des marges : le contrat en unités de compte. Moins de risque que le contrat en euros, plus de marge que le contrat en euros, et cerise sur le gâteau l’aide du gouvernement, ce qui appelle de ma part deux remarques :

  • L’aide du gouvernement : je pense évidemment à l’amendement Fourgous, autorisant le transfert des contrats euros vers les contrats unités de compte hors fiscalité. Rappelez-vous sans cesse la phrase de Detoeuf ! « Aides toi, le gouvernement ne t’aidera pas » : Le gouvernement est une boussole qui montre le sud quasi systématiquement à long terme et M. Fourgous a favorisé quelque chose qui ressemblerait un peu au pension misselling des années 90 en Grande Bretagne. Les clients qui ont transféré leurs actifs à compter du 4 nov 2005 (pour mémoire le cac était à 4502 et à supposer que les ventes aient lieu six mois après 5193 le 4 mai …) ne sont peut être pas prêt de se refaire de leurs pertes (limitées il est vrai par le maintien d’une poche euro significative)
  • Moins de risque, plus de marge …. Qui peut croire une faribole pareille ? je vous rappelle que « commodus esse debet cujus periculum est ». Il fallait plutôt lire : une marge correspondant au risque pris contrairement au contrat euro. There is always a canary in the coal mine…

Mais tant qu’il y a de la musique il faut danser… et ce remplacement du contrat euro par l’UC a permis de limiter la consommation de capital. Et quand la musique s’est arrêtée le leverage positif précédent est devenu négatif :

  • Une croissance consommant moins de capital devient une croissance consommant plus de capital
  • Une croissance diminuant les risques dans le bilan devient une croissance augmentant le risque dans le bilan (aboutissant au phénomène précédent).
  • Une croissance augmentant les marges devient une croissance diminuant les marges.

C’était la situation de 2008. Que s’est il passé depuis ? Les prix ont ils été revus à la hausse ? Non, avec quelle conséquence pratique ? Vous vous en doutez un « fly for safety » renforcé par des prix plus qu’attractifs qui expliqueraient donc les croissances du début d’année. C’est cette absence de réaction qui est dérangeante et constitue pour moi une illustration de la lenteur de réaction des assureurs français en matière de prix (c’est aussi le cas en assurance iard).

Quels scénarios peut on imaginer pour l’avenir ?

Le premier vertueux : hausse des prix (hausse des chargements ou baisse des taux servis) qui amène à une contraction de l’industrie et une vague de concentration en matière d’épargne ou recentrage vers les assurances de risques pour ceux qui savent encore en faire (pas nombreux, CNP, AXA, La Mondiale, des institutions de prévoyance…)

Le second dangereux : on ne touche pas les prix mais on va chercher des placements de plus en plus risqués qui à terme diminuent les marges…

Voilà ce que je voulais vous dire en prenant une approche à la fois partielle et partialle fondée sur la sous tarification.

point sur solvabilité 2

Les nouveaux enjeux de la nouvelle autorité s’inscrivent dans un cadre tout à fait nouveau lui aussi : solvabilité 2. Pour les assureurs c’est donc un double choc : nouvel environnement réglementaire, nouveau format de contrôle.

Un nouveau format de contrôle

Il est loin le temps où un ministre des finances pouvait déclarer que « la direction des assurances est une forme de subvention déguisée au secteur… »[1]

Il n’y a plus de direction des assurances, il n’y a même plus le mot assurances dans le nom de la nouvelle autorité (qui entre nous soit dit a un nom très curieux qui lui permettrait d’exercer son activité dans tous les domaines indifféremment au delà même de la finance, l’idée n’est sans doute pas idiote car elle évitera de changer de nom tous les trois ans comme nous en avions pris l’habitude).

Mais au delà de ces anecdotiques changements de nom, c’est un nouveau format de contrôle qui se met en place. Un contrôle qui relève selon moi du droit coutumier plus que du droit écrit ou si vous préférez du principle based plus que du rules based… et c’est une révolution importante pour les assureurs français et leur contrôleur qui vont devoir s’inscrire dans un mode de rapports assez différent. Quelques exemples :

  • La norme de solvabilité n’est plus le résultat d’une multiplication (qui nous donnait tous l’impression d’être de grands actuaires) mais le fruit d’un calcul statistique, basé sur la probabilité de ruine à un an.
  • La provision est la valeur pour laquelle on peut transférer ses obligations vis à vis des assurés. Et l’acheteur de ces engagements est une « entité de référence » notionnelle. On s’est toutefois arrêté à la limite du own crédit risk, ce qui est discutable.
  • Et horresco referens vous pouvez construire votre propre modèle avec vos propres données et le faire approuver… le sacro saint principe républicain de l’égalité battu en brèche…

Chacun de ces éléments est évidemment un lieu de discussion et de questions :

  • Qu’est ce que la probabilité de ruine et pourquoi la fixe-t-on à ce niveau ? et pourquoi diable avoir retenu la probabilité à un an ?
  • Qu’est ce que la valeur de marché d’une provision dont les exemples de vente sont très rares (au moins en France, car en Angleterre la pratique du run off est assez systématique) ?
  • Comment construire des modèles de phénomènes dont la compréhension reste faible voire inexistante ?

Le Français doté à la fois d’une culture mathématique moyenne très supérieure à ses voisins et d’une capacité à se poser des questions insolubles a excellé dans leur identification.

Il faut cependant reconnaître que la plupart des questions ont reçu une réponse d’assez bonne qualité, conséquence d’une élaboration démocratique des textes, assortie de nombreux garde fous (dont les QIS) et si tout n’est pas parfait, l’élaboration de normes communes à tous les régulateurs assurera la poursuite de la qualité de l’élaboration des solutions.

En fait la critique aujourd’hui porte sur quelques volets soit d’importance mineure, soit étrangers au débat de fonds :

  • Mineures : les calibrages. Mineures parce qu’il suffit de fournir des données pour avoir un calibrage correspondant aux risques exercés : la directive le permet le CP 75 l’encourage. Toutefois n’étant pas dotés d’une tradition d’élaboration de chiffres de marché comme la Grande Bretagne, les assureurs français devraient songer à combler ce vide. Le titre exemple du CP 72 est là pour en témoigner.
  • Etrangers au débat de la solvabilité : la tentation est grande de traiter l’impact de solvabilité 2 sur l’économie, surtout depuis la crise. On accuse solvabilité 2 d’être pro cyclique conduisant à alléger les capitaux en haut de cycle à les renforcer en bas de cycle. Ou encore de restreindre les capacités d’achat d’actifs risqués par les compagnies du fait d’un poids trop lourd du risque action. Ces critiques n’ont pas lieu d’être parce que le rôle de Solvabilité 2 ce n’est pas de favoriser l’économie, ou de jouer un rôle contra cyclique, c’est de protéger les assurés (art. 16 des motivations de la directive). Vous me permettrez de douter de l’impact de solvabilité 2 sur la capacité des assureurs à acheter des actions : c’est plutôt dans la nature des produits vendus (à option de rachat instantanée) ou dans les mauvaises performances des actions au cours des 20 dernières années qu’il faut chercher la source de la faible appétence des assureurs pour les actions. J’ai pour ma part connu une époque pas si ancienne où il fallait convoquer les assureurs à Bercy pour leur faire acheter du non coté… sans solvabilité 2 à l’horizon…

Tout ne va cependant pas pour le mieux dans le meilleur des mondes : il est un domaine qui demande à mon avis plus d’attention qu’il n’en reçoit : c’est celui du pilier 2. Les critiques dont il fait l’objet sont souvent centrées sur la lourdeur des contrôles à mettre en place. Rares sont les mises en cause de l’inspiration principale des mesures de contrôle, le COSO, largement diffusé par les grands cabinets, dont on a pu mesurer chez les banquiers, à l’occasion de la crise, le caractère totalement inefficace dans l’industrie financière. L’autorité de contrôle serait bien inspiré plutôt de favoriser des systèmes issus des pratiques séculaires des assureurs en matière de contrôle des risques et d’en faire profiter les banquiers.

[1] Phrase attribuée à Edouard Balladur