La concentration importante qu’a connue (ou subie) l’industrie de l’assurance au cours des dernières années n’a-t-elle pas poussé la mutualité à ses limites et les assureurs dans la recherche illusoire d’une taille sans cesse accrue n’ont-ils pas perdu une base essentielle de leur métier : la mutualisation des risques ?
La mutualisation ne se décrète pas et doit être acceptée par la communauté des assurés.
Cette acceptation a souvent été garantie au cours des temps par l’affinité qui présidait aux relations entre membres des groupes d’assurés. Lorsque les armateurs se réunissaient au café de M. Lloyds dans les années 1650 et suivantes pour assurer leurs bateaux c’est la convergence des besoins (couvrir la perte d’un navire) mais aussi (et surtout) la connaissance des autres armateurs qui ont permis l’éclosion d’un marché d’assurance dynamique et actif. La communauté du métier, la connaissance de l’éthique des autres marchands permettaient d’engager des sommes gigantesques sur des risques loin d’être théoriques. Aujourd’hui encore le Lloyds reste un lieu d’échange entre gens qui se connaissent du souscripteur du syndicat (underwriter) au Lloyds broker qui lui présente les affaires.
Cette affinité a aussi présidé à la naissance de nombreuses formes d’assurance dans l’histoire : couvertures par les jurandes d’ancien régime, sociétés de secours mutuels, mutuelles ont été créés au sein de groupes homogènes. Cette homogénéité due à la communauté des objectifs et de l’éthique a permis l’assurance. On ne se lasse pas de relire les mots de Bastiat dont le génie a embrassé en quelques mots l’assurance, son origine et même son futur.
« J’ai connu des sociétés de secours mutuel dans les Landes… »
Bastiat avait posé avec une grande prescience les limites de la mutualité et de l’assurance. En libéral il avait senti combien la mutualité était une solidarité qui ne pouvait être étendue à l’infinie.
Cette règle les assureurs l’ont suivi avec attention jusque dans les années récentes : les mutuelles abondent dans le monde, créées autour d’un métier, d’un savoir, ou simplement autour d’une proximité géographique.
Dans le monde de l’assurance des « non-mutuelles » c’est souvent l’agent local inséré dans sa commune qui a joué ce rôle de « faiseur de mutualité ».
Mais cette sagesse fondée sur la connaissance intime des ressorts humains a été emportée dans la course à la taille des assureurs. On en est d’autant plus surpris que les avantages liés à la taille sont loin d’être démontrés dans cette industrie. De plus elle dispose des mécanismes de la réassurance pour assurer des avantages quasi identiques à la taille sans les inconvénients.
Il y a donc fort à parier qu’on a sacrifié des principes élémentaires de l’assurance à l’appétit de pouvoir de certains, ou à la volonté de législateurs et régulateurs incapables de voir le monde autrement que comme un assemblage de grands.
En grossissant, en fusionnant les assureurs ont abandonné progressivement l’idée de communauté de sort d’une profession, d’un groupe, en un mot de mutualité librement consentie et concrète pour y substituer une mutualité forcée, abstraite et désincarnée.
La taille ne fait pas bon ménage avec l’affinité, et les performances moyennes de l’assurance ces dernières années en sont peut être la preuve.